La candidature de l’écrivain, éditorialiste et polémiste Éric Zemmour à la prochaine élection présidentielle est une idée qui fait son chemin depuis plusieurs mois. Sur le site « les amis d’Éric Zemmour, une page nommée « je signe pour Éric Zemmour » est dédiée à une pétition en faveur de sa candidature. Combien l’ont signée ? Impossible de savoir. Eric Zemmour a confirmé à Opinion Internationale « cautionner » l’initiative, ce qui s’apparente farouchement à une confirmation de candidature. L’intéressé avait déjà donné un coup d’accélérateur lors d’un entretien accordé au média « Livre noir » : « Peut-être qu’il faut passer à l’action. […] Je fais de plus en plus de propositions », a-t-il lâché, parfaitement conscient de l’impact de ces mots.
Lorsque cette perspective avait été évoquée, la plupart des commentateurs l’avaient balayée d’un revers de main. Il explosera en vol, peut-être même au décollage, quand bien même réussirait-il à glaner 500 signatures et un pactole pour faire campagne. Sauf qu’Éric Zemmour n’est pas Jean-Marie Bigard, un bouffon qui se croyait penseur, et avec lequel nous avions inauguré la série « Les prétendants ! ». Il n’a certes pas (encore) de discours programmatique global, mais il a déjà un avis éclairé sur presque tout.
Du reste, les politiques ont beau répéter que l’important n’est pas le candidat, mais le programme, les Français savent que les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Il faut quelques idées-forces et le charisme pour les faire passer. Si on en juge par ses prestations sur Cnews, dans le talk « Face à l’info » animé par Christine Kelly, ou dans celui de la chaîne Paris Première « Zemmour & Naulleau », Éric Zemmour possède les deux. En tout cas, l’audience est au rendez-vous, et ses idées infusent dans la société comme parmi les politiques et les intellectuels. Ses livres sont aussi de gros succès de librairie. Qui n’a pas déjà entendu un électeur de gauche, voire d’extrême gauche, affirmer « Zemmour, je suis contre, mais… » ou encore « je suis d’accord sur le constat, pas sur les solutions »… ?
S’y ajoute le fait qu’Éric Zemmour est un redoutable débatteur, peut-être même le meilleur de France, ce qui est loin d’être le cas de Marine Le Pen. Ses plus fervents adversaires se bousculent pour se confronter à lui sur CNews.
Tous ces facteurs peuvent inciter l’intellectuel à se lancer dans l’arène politique, ce qui pourrait provoquer une nouvelle implosion de la scène politique. L’élimination de Marine Le Pen du second tour de la présidentielle en serait la première conséquence directe.
Il est peu probable qu’Éric Zemmour soit le prochain président de la République, comme il était inconcevable qu’Emmanuel Macron entre à l’Élysée un an avant l’élection de 2017. Mais ceux qui tablent sur son abandon précoce, ou sont convaincus qu’il ne ferait qu’un score insignifiant, pourraient regretter leur pronostic. Le dernier sondage Interactive pour Challenges sur les intentions de vote au premier tour donne 28 % pour Marine Le Pen et 25 à 27 % pour Emmanuel Macron, ce dernier l’emportant au second tour.
Mais la droite républicaine, dont le discours et le positionnement idéologique correspondent à ceux de la majorité des Français, se choisira bientôt un candidat, ce qui devrait créer une émulation. À l’extrême droite, d’autres candidats, comme Nicolas Dupont-Aignan, voire le maire de Béziers Robert Ménard pourraient grignoter le tapis de voix de la cheffe du Rassemblement national. Emmanuel Macron a compris que l’insécurité serait un thème essentiel de la campagne et que les Français n’hésitent plus à la lier à l’islam (radical) voire, poiur certains, à l’immigration. Au premier tour, il saura adapter son discours à cette donne.
Marine Le Pen ne s’y est pas trompée. Au dernier Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI, elle a déclaré : « Objectivement, [sa candidature] peut aider Emmanuel Macron à arriver en tête de l’élection présidentielle, ce que les sondages ne lui accordent pas pour l’instant », avant d’ajouter : « Je lui ai dit : vous êtes un éditorialiste et un écrivain respecté et écouté. N’affaiblissez pas, même un tant soit peu, le camp national auquel vous êtes attaché… ».
Éric Zemmour est un intellectuel et sa place n’est pas dans l’arène politique. Au mieux les clercs ont leur place comme conseillers des princes. Machiavel (ne comparons tout de même pas Zemmour à cet immense philosophe) n’a pas gouverné Florence, mais il a pesé sur la politique de la République florentine comme nul autre dirigeant politique ne l’a fait. Zemmour risque fort d’être à Le Pen ce que le philosophe François-Xavier Bellamy a été à Wauquiez et à LR aux Européennes de 2019.
Zemmour sied-il à la France ? Ses diagnostics sont parfois courageux et clairvoyants : pour ne prendre que le sujet qui fâche le plus, ce que Zemmour appelle le « Grand remplacement » est décrit comme un fait démographique objectif par un Michel Onfray (un futur candidat lui aussi à la présidentielle ?). D’ailleurs Zemmour n’a jamais affirmé que cette tendance était le fait d’un complot visant à remplacer une population par une autre. Mais la loi du nombre s’impose et la démocratie en a même fait sa définition.
Mais les solutions et le tempérament de Zemmour mettraient le feu aux poudres d’une société française qui a besoin de solutions, certes radicales, mais apaisantes et fédératrices. Ses condamnations pour racisme entachent le crédit de la personne et, non, tous les musulmans n’ont pas à faire « le choix entre l’islam et la France ». La stigmatisation des musulmans n’aide pas les républicains qui, parmi eux, tentent de représenter une France de la diversité.
L’écrivain fantasme une France puissante et dominatrice, du moins souveraine, qui n’existe plus et n’existera plus jamais. Il fustige l’État de droit, qu’il confond avec celui des juges, alors qu’il ne peut y avoir de démocratie hors l’État de droit.
Il a une sorte de fascination pour Pétain à qui il trouve d’étranges circonstances atténuantes. Nationaliste, il préfère la souveraineté à la démocratie. Il réprouve Bruxelles et donc l’Union européenne, qui hélas n’a pas su se faire aimer, mais se faisant et il jette le bébé avec l’eau du bain. Il condamne l’Islam à rester définitivement dans l’obscurantisme alors que cette religion s’en était largement affranchie avant l’offensive idéologique de l’islam politique (rappelez-vous ce que disait Nasser des femmes voilées), qui a notamment conduit à la République islamique d’Iran.
Bref Eric Zemmour est d’extrême-droite par ses fréquentations et certaines de ses analyses, il se plaît à s’en donner l’allure car il est convaincu que, sur les ruines d’une classe politique discréditée, les Français sont mûrs pour tenter l’aventure populiste.
Éric Zemmour est-il naïf au point de croire que les nationalistes racistes qui braillent « on est chez nous » dans tous les meetings de la droite radicale l’incluent à leur « nous » ? A-t-il oublié le sort réservé aux intellectuels juifs qui avaient, par conviction ou opportunisme, apporté leur caution au régime de Vichy ? Certes, les personnages et les époques sont différents, mais les références aux relents nauséabonds des années 1930 et à la montée du populisme se font entendre, notamment chez les intellectuels de gauche comme Raphaël Enthoven qui voient dans notre époque un remake des années 30.
Mais pour l’heure, les préoccupations sont plus tactiques : la candidature d’Éric Zemmour (poussée par de nombreux intrigants qui trouvent Le Pen incompétente alors même qu’ils sentent les Français prêts à voter pour une droite dure), associée à quelques autres péripéties de campagne, peut-elle être fatale à Marine Le Pen ? Oui, elle le peut, et la patronne du RN doit en trembler tous les jours…
Si impossible n’est, paraît-il, pas français, du moins en politique, imaginons l’hypothèse d’un duel de second tour entre Zemmour et Emmanuel Macron. Du grand spectacle en perspective !
Mais le plus vraisemblable est qu’un éparpillement des votes d’extrême droite ferait le jeu du candidat de la droite républicaine, qui pourrait être Xavier Bertrand, Valérie Pécresse ou Laurent Wauquiez.
Éric Zemmour pourrait alors devenir également le pire cauchemar d’Emmanuel Macron en ruinant sa stratégie visant à se retrouver face à Marine Le Pen. Les prochains sondages intégrant sa candidature détermineront qui passera les nuits les plus agitées !
Michel Taube
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