Le sommeil est un mystère. Les experts savent en dessiner les cycles et certains de ses mécanismes, mais pour chacun de nous, il est le lieu secret où nous nous perdons à nous-mêmes, un territoire étranger, hors de notre contrôle. À la fois, fascinant et effrayant. Il n’est donc pas étonnant que nous lui ayons attaché différents rituels, personnels et culturels. Car dormir est pratiqué de multiples façons, les yeux fermés ou ouverts, en intime ou en public, dans le noir ou dans la pénombre éclairée d’une petite loupiotte, entre autres variations sur ce thème. Or il en est de même de notre literie. En effet, selon les lieux, les types de couchages diffèrent. Ce qui semble assez logique. À quoi accrocher son hamac autour du cercle polaire ? Où dénicher une peau de loup à jeter sur la glace dans la forêt amazonienne ? Où y planter son igloo ? Ça ne se plante pas un igloo ? Au temps pour moi… Les cultures naissent dans un décor, peut-être même de ce décor, conditionnées par les couleurs et les formes qui y dominent, le climat qui y règne, les matériaux qui s’y trouvent, la faune et la flore locales… autrement dit l’environnement.
Il n’est donc pas étonnant qu’au Pays du soleil levant, cet archipel constitué de 6 852 îles, entre l’océan Pacifique et la mer du Japon, dont l’espace maritime représente les deux tiers de la superficie et dont seulement un cinquième du territoire est habitable, le gain de place soit un art. D’autant que la densité de sa population de 332 habitants au kilomètre carré est une des plus fortes au monde. À titre de comparaison, celle de la France est de 107, de la Chine 147, et des États-Unis… 34.
Ainsi, au Japon, traditionnellement, on ne réserve pas une pièce au sommeil. On dort par terre sur des futons que l’on déploie le soir au moment du coucher et replie au lever, afin de dédier l’espace ainsi libéré à d’autres activités. Souvent dans les maisons les sols sont recouverts entièrement de tatamis, mais s’il est nu, en béton ou en terre battue, on y déroule un tatami, qui servira de sommier, avant de déposer dessus le matelas – dit futon. Une installation, apparemment spartiate, que d’aucuns considèrent pourtant comme bénéfique au squelette.
Mais que sont donc tatamis et futons ?
Les tatamis sont des espèces de nattes, ou tapis, épais de cinq centimètres, composés de couches de paille de riz entrecroisées et compressées recouvertes d’un tissu de paille de joncs. Ils ont une taille standard qui est d’ailleurs utilisée au Japon pour mesurer les surfaces. Souples, on les roule après usage pour les ranger dans un placard réservé aux accessoires de nuit.
Quant aux futons, il y en a deux sortes. Le shikifuton, qui fait office de matelas, constitué d’une housse et d’un rembourrage en coton. Le kakefuton, lui, couverture ou couette, plus souple et en fibre de soie, est réputé pour ses qualités hypoallergéniques et hostiles aux acariens. Au fait : le futon est né en Inde et non pas au Japon. N’oublions pas l’oreiller qui complète la panoplie : le sobakawa des Japonais est rempli de haricots secs ou d’écales de sarrasin lavées.
Enfin, comment ne pas évoquer les sièges de métro, les bureaux ou les bancs dans la rue, qui servent de couchage pour les enimuri, ces siestes express très prisées dans le pays. Pas de honte, au Japon, à s’abandonner en public dans les bras de Morphée. Au contraire, même. Ce sommeil à l’arraché prouve qu’on est fatigué et donc qu’on a bien travaillé. Alors chut, un peu de respect !
Catherine Fuhg