Compositeur et chef d’orchestre de formation, Laurent Couson a été directeur musical de différents orchestres, notamment en Asie, où il a créé une structure de production internationale qui possède son propre studio, SAM Production, et produit des dizaines d’enregistrements et spectacles. Il a écrit et dirigé plusieurs spectacles musicaux, notamment Electro Symphonic Project, ou encore Anges et Démons, parrainés par feu Didier Lockwood (à la mémoire duquel Opinion Internationale est très attaché), qui ont rencontré un grand succès à Paris, et a composé les bandes originales de films de réalisateurs prestigieux, comme Claude Lelouch ou Xavier Palud.
Pendant le premier confinement, de mars à mai 2020, Laurent Couson a composé Requiem XIX, inspiré de ses réflexions sur la crise sanitaire, les nombreuses pertes qu’elle a engendrées et ses conséquences sociales. Cette œuvre sera donnée en première mondiale le samedi 26 juin à 20h et dimanche 27 juin à 15h à l’église Saint-Médard à Paris. Nous avons rencontré le Maestro.
Michel Taube : Pourquoi un Requiem ?
Laurent Couson : Le requiem est un genre qui fait fantasmer les compositeurs. Comme la symphonie ou le concerto, il fait partie des styles très nobles de la musique classique et évoque immédiatement tous les grands noms qui se sont donnés à cet exercice pendant cinq siècles avant moi. Par ailleurs, j’aime beaucoup le chant choral et le requiem est un genre avant tout choral. Enfin, je me place, en tant qu’artiste, dans la société et dans l’actualité. Or, avec la Covid, nous traversons une crise sanitaire et sociétale, qui nous a coûté des milliers de vies. Ce requiem est mon hommage aux victimes de la pandémie.
Ceci dit, il est surtout une œuvre d’espoir et de vie, certes à la mémoire des morts, mais aussi au service des endeuillés et pour les vivants : un chemin de paix et de renaissance. Ce n’est vraiment pas une œuvre triste, mais une œuvre de réflexion, pleine de joie et très positive. Un peu comme le Requiem de Verdi, le seul requiem pour les vivants.
Le Requiem est un genre religieux, traditionnellement. Ce choix n’est pas anodin.
En effet. J’ai composé cette œuvre pendant le premier confinement. Quand on est enfermés, on s’interroge. Et moi, en temps de crise, personnelle ou sociétale, j’ai tendance à me tourner vers la religion et à me pencher sur des textes qui me permettent de réappréhender les crises. C’est mon mode de thérapie.
Mais votre requiem est-il religieux ?
Il est œcuménique. À la fois religieux et laïc. Car le livret est écrit dans les langues des trois grandes religions monothéistes, c’est-à-dire l’arabe, l’hébreu et le latin, et s’adresse ainsi à l’humanité, aux croyants ou non croyants, à tous ceux qui veulent avoir une réflexion sur la façon de repenser le monde.
C’est d’ailleurs pourquoi je suis parti de Babel, évoqué longuement dans L’Ancien et le Nouveau Testament ainsi que dans le Coran, avec des symboliques différentes. La tour de Babel fait l’unité de ce requiem ; elle est son fondement. Car Babel rappelle ce qui nous arrive aujourd’hui. À Babel, les hommes décident d’aller tous, de manière un peu aveugle, dans la même direction, de parler la même langue, ce qui les mène à la catastrophe. À un moment donné, on est obligé de détruire ce système pour que chacun retrouve son individualité, non par égoïsme, mais afin que comprendre l’autre exige de nous un effort. Là est le vrai message biblique, un message, à mon sens, universel et laïc.
L’arabe et l’hébreu sont au cœur de votre Requiem. Est-ce que votre œuvre qui sera donnée les 26 et 27 juin à Paris en première mondiale ne résonne pas également de ce qui se passe au Proche-Orient, et parfois en France, aussi ?
Si, bien sûr. Car c’est une œuvre pour la paix, pour le rapprochement des cultures. Un message que l’on transmet à travers une œuvre musicale qui prône, sans prosélytisme, le message de l’après-Babel, c’est-à-dire de se retrouver, de s’écouter et de respecter le langage et les opinions de l’autre. C’est tout ce qui nous manque en ce moment.
Mais la tour de Babel du Covid, qu’est-ce que c’est ?
En fait, dans cette crise, les gouvernements ont tous réagi de la même façon, en nous enfermant chez nous, nous imposant le port du masque, et nous interdisant les interactions avec d’autres. Ce fut d’une grande violence. Avec cette œuvre, je voulais, à la sortie de la crise, et pas avant, diffuser ce message : retournez les uns vers les autres, n’ayez plus peur d’aller parler à votre voisin. Et finalement, c’est ce qu’on est en train de vivre. On recommence à se dire qu’on peut s’asseoir les uns à côté des autres, échanger, se toucher.
Comment avez-vous composé le livret, dans ces trois langues ?
J’ai travaillé avec des dignitaires des trois religions, que j’ai interrogés sur les textes les plus adaptés selon eux à mon œuvre et à son propos. Ce sont des textes religieux donc, mis à part le chant en langue arabe qui est une création d’un poète musulman, Mohammed Ennaji, une réflexion sur Babel et la mort.
Pendant la Covid, on a noté une certaine légèreté de la part de beaucoup de religieux, qu’ils soient juifs, musulmans ou chrétiens, par rapport aux précautions sanitaires. On les a vus se rassembler pendant les fêtes religieuses malgré les risques que cela comportait. Ne trouvez-vous pas qu’il y a quelque chose d’un peu eschatologique dans cette réaction des croyants ?
Personnellement, je comprends qu’en temps de crise les gens veuillent se rassembler autour de leur religion et se retrouver. Même si je comprends aussi que cela puisse être dangereux.
Quel est le rôle de la musique aujourd’hui dans ce monde tellement bruyant, où tout est tellement perturbé et perturbant ? Est-ce qu’il est aussi important qu’il y a dix, vingt ou trente ans ?
Non, il l’est moins. Pour plusieurs raisons. D’abord, ce qui me désole, personnellement, c’est qu’aujourd’hui, à 95 %, on écoute la musique sur des Smartphones, avec des écouteurs de mauvaise qualité, sur YouTube ou Spotify, dans le métro, en marchant, etc. On ne prend plus le temps d’écouter la musique. C’est complètement désacralisé. Alors qu’il y a encore une vingtaine d’années, les jeunes de ma génération prenaient le temps d’acheter un disque, de s’installer chez eux pendant une heure pour l’écouter vraiment. Aujourd’hui, ça n’existe plus. Les gens n’écoutent plus un enregistrement d’une heure en entier, ils attrapent au vol des bribes de morceaux pendant leurs trajets. Pour la plupart, ils n’ont même plus de système d’écoute à domicile.
La musique est donc en train de devenir quelque chose qui permet de passer le temps dans des moments difficiles ou ennuyeux. D’où l’importance de la scène, du live, c’est tout ce qui nous reste. Ce qui explique à quel point les restrictions, depuis un an et demi, ont été anxiogènes. Car pour nous, si, d’un seul coup, le live aussi disparaissait, c’était la fin de notre métier.
Par ailleurs, il me semble qu’on crée de moins en moins d’œuvres qui ont du sens. La musique ne doit pas être que du divertissement. Même si je respecte la musique de divertissement. Moi aussi, j’aime aller danser et écouter des airs légers. Je n’ai pas toujours envie d’écouter le Requiem de Berlioz. En revanche, j’ai aussi le désir d’entendre des œuvres porteuses d’une réflexion sur le monde dans lequel on vit. Comme c’était le cas des œuvres de tous les grands compositeurs.
On imagine mal un grand artiste écrire, composer, hors du monde.
Pour ma part, la musique classique m’a bouleversé tout jeune parce qu’elle vibre d’autre chose qui va au-delà du simple plaisir auditif. Et c’est important.
Propos recueillis par Michel Taube.
Remerciements à Marc Bensimhon, avocat, chanteur lyrique
Notre indépendance, c’est vous !