L’Orient rougeoie.
Le soleil se lève.
En Chine naquit Mao Zedong.
Il œuvre pour le bonheur du peuple,
Il en est le sauveur.
Cette chanson, tous les Chinois la connaissaient par cœur et la répétaient à longueur de journée. Son air résonnait même dans l’espace avec le premier satellite artificiel chinois lancé il y a cinquante ans.
Aujourd’hui, à la veille du centenaire du Parti communiste chinois, la Chine redevient rouge.
Depuis plusieurs mois déjà, le pays se prépare activement à célébrer cette grandiose fête.
Du nord au sud, de l’est à l’ouest, dans les villes comme à la campagne, flottent partout les drapeaux arborant le marteau et la faucille, tous les murs sont tapissés de slogans glorifiant le Parti et son nouveau grand dirigeant ; du matin au soir, résonnent dans les airs les « chansons rouges » qui datent des années révolutionnaires. L’ambiance rappelle la révolution culturelle où Mme Mao a voulu faire de Pékin « une mer rouge ». Et la voilà !
Tous les membres du Parti (au nombre de 92 millions), même retraités, sont sommés d’étudier l’histoire du Parti selon la nouvelle version officielle bourrée de mensonges et de présenter régulièrement, dans les réunions politiques ou par voie informatique, le rapport des « fruits » de leur étude, contrôlé quotidiennement par un logiciel spécifiquement conçu à cet effet. Depuis les jardins d’enfants jusqu’aux universités, tous les enfants/adolescents/jeunes doivent apprendre par cœur les dogmes du parti sous peine d’échec scolaire. Les dirigeants de chaque échelon, au lieu de se concentrer sur leurs tâches journalières, se creusent le cerveau et rivalisent d’idées inventives pour créer une ambiance festive chantant la gloire du Parti et de son dirigeant. Regardez cette jolie cabine vitrée qui ressemble à un confessionnal.
À quoi cette cabine sert-elle ? À « s’épancher devant le Parti » ! À l’intérieur, un siège est posé. N’importe qui peut entrer et s’asseoir pour parler à cœur ouvert, filmé et enregistré. « S’épancher » ? Certes ! Tu es libre de dire tous les éloges à l’égard du Parti, même les plus écœurants. Émettre des critiques ou exprimer ton mécontentement ? Surtout pas, à moins que tu en aies assez de vivre librement et veuilles aller goûter une gamelle « là-dedans » !
Peut-on questionner la légitimité du parti communiste au pouvoir ? Non, affirme récemment un professeur émérite, pour la simple raison que « l’Histoire l’a choisi ». Il est là, donc il a raison d’y être et d’y rester. Cependant, on a oublié que l’objectif initial des communistes fut de « faire table rase du passé » chanté dans « L’Internationale ».
L’histoire est comme une jeune fille de 18 ans, on peut la maquiller comme on veut, dit un dicton populaire. Une fois le mensonge créé, il suffit de le répéter mille fois pour qu’il devienne une vérité absolue (phrase de Goebbels ?).
Illustre exemple : l’effroyable famine entre 1959 et 1961 causée par la folie maoïste du « Grand bond en avant » qui a tué 34 millions de paysans chinois reste, dans la bouche du peuple tout entier « trois années de calamités naturelles » ou « trois années difficiles ». De cette manière, les mensonges les plus éhontés passent dans la tête d’un milliard de sujets comme « vérités », sous forme de clichés. Lavage de cerveaux réussi d’une manière exceptionnelle !
La dévastatrice révolution culturelle qui a fait des millions de victimes et quasiment anéanti la culture chinoise fut définie comme une « énorme catastrophe », selon la résolution de la IIIème session plénière du XIe Congrès du PCC (1979). Coup de magie ! Dans le récent manuel d’histoire pour l’école secondaire, elle se transforme en une « dure exploration » (jianxin tansuo) réalisée par le Parti tout en s’avançant « en zigzag », terme astucieusement élogieux.
Cette apparente « unanimité » est pourtant douteuse. La réalité est que le pays se trouve gravement déchiré. Cette rupture profonde atteint les entreprises, les cercles d’amis, les réseaux sociaux, voire les familles. Tout comme pendant la révolution culturelle, les gens se divisaient et se bagarraient entre eux à cause des opinions politiques différentes, les Chinois d’aujourd’hui ne peuvent plus toucher, sans susciter de vives disputes, à des sujets politiques « sensibles », notamment celui du jugement de Mao. Les réseaux se recomposent et on se parle entre ceux qui partagent les mêmes opinions, et avec précaution. Le Big Brother est omniprésent. Il y a deux fois plus de caméras en Chine que de Chinois. L’internet est strictement surveillé et les murs ont des oreilles. À s’exprimer trop librement, on risque d’être invité à « prendre un café » par la police, voire pire…
La révolution culturelle n’est jamais loin, car les tisons sont toujours là. Il y a quelques jours, un professeur d’une université anonyme de province a annoncé une nouvelle sensationnelle : grâce à la philosophie marxiste, il a réussi à renverser la théorie d’Einstein sur la relativité ! Mais il n’a rien inventé ! Cette théorie fut déjà remise en cause en 1968 par des scientifiques chinois à la lumière de la Pensée de Mao !
« Quelle est la différence entre Staline et Mao ? » Une fois, en France, lors d’une conférence, j’ai posé cette question, sans obtenir de réponse.
Pour moi, répondis-je, les deux sont dictateurs sanguinaires, à cette différence que Staline se contentait de supprimer physiquement les adversaires, réels ou imaginaires alors que Mao réussissait brillamment à implanter un petit Mao dans la tête de chaque Chinois.
Et voilà :
l’Orient rougeoie à nouveau
Des millions de petits Mao sont nés.
Mais le soleil se relèvera-t-il ?
Chen
Notre indépendance, c’est vous !