Dès 1961, Léon Mba – premier président de la République gabonaise et l’un des Pères fondateurs de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) – déclarait au général de Gaulle : « L’Europe et l’Afrique ont un destin complémentaire. L’Eurafrique est le continent de demain, celui qui stabilisera le monde inquiet et déchiré où nous vivons ». 60 ans plus tard, cette inquiétude face à un avenir incertain est plus que jamais une réalité : inquiétude face aux conséquences cataclysmiques de la crise climatique, de l’effondrement de la biodiversité, de la raréfaction de l’eau ou de la dégradation accélérée des sols, amplifiée par l’explosion démographique du continent africain. En 2019, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (UA) qualifiait déjà le changement climatique comme la menace majeure du continent africain et par conséquent celui de l’Europe.
L’Eurafrique se fera de gré ou de force
En 2050, l’Afrique comptera 2,5 milliards d’habitants et l’Europe 500 millions soit un rapport démographique de cinq africains – dont la moyenne d’âge sera de 19 ans – pour un européen avec une moyenne d’âge de 53 ans. Et ces populations ne seront distantes que de 14 km, au niveau du détroit de Gibraltar.
L’Europe a besoin d’une Afrique pacifiée et prospère pour ne pas être submergée par des populations fuyant l’insécurité et la misère. L’Afrique a besoin d’une Europe qui continue de peser sur les affaires du monde pour ne pas être définitivement sous la coupe de pays qui ne respectent pas les droits fondamentaux et n’ont pas comme priorité le développement durable de l’Afrique.
Dès lors, l’enjeu est de savoir comment préparer un espace commun entre l’Europe et l’Afrique par des collaborations responsables. L’Eurafrique, c’est-à-dire l’alliance politique entre l’Europe et l’Afrique, possède tous les atouts pour devenir l’acteur majeur géopolitique du XXIe siècle.
Il y a pourtant des obstacles à surmonter pour réaliser cette alliance. Une partie de la jeunesse africaine a une très mauvaise opinion de l’Union européenne. Comme le montre l’enquête de la fondation Ichikowitz 2020, plus de la moitié des jeunes Zimbabwéens, Sénégalais, Maliens et Gabonais estiment que l’Europe a une influence négative sur leur vie. D’autre part, en Europe les jeunes ignorent complètement ce que représente l’Afrique en termes d’opportunités et de menaces. Le peu qui s’y intéresse le fait à travers des actions associatives humanitaires qui ne peuvent être le seul modèle d’interactions.
En outre, la pandémie de la Covid-19 a accéléré le déplacement du centre de gravité du monde économique vers l’Asie, au détriment du monde occidental et plongé l’Afrique dans sa première récession depuis 25 ans. C’est une situation complexe, mais aussi une opportunité pour rebattre les cartes afin de bâtir un avenir commun et durable.
Il est donc urgent dans ce contexte où les enjeux deviennent inter-continentaux, de donner aux jeunes africains et européens les moyens de se connaître, de se rapprocher, de s’apprécier. En effet, ce sont eux et les générations futures qui seront le ciment de l’alliance entre nos deux continents. Pour y parvenir, il sera nécessaire, voire indispensable, de se défaire du principe de subsidiarité qui semble prédominer dans la sphère eurafricaine, pour laisser place à la complémentarité, à la solidarité agissante ancrée dans le partage d’expériences, de connaissances et non pas dans l’assistanat. L’objectif est d’aboutir à un futur co-construit au sein duquel l’apport et la valeur des uns et des autres sont reconnus, et au sein duquel ces jeunesses grandiront avec une vision partagée et une responsabilité commune au plan économique, social et environnemental.
Des jeunesses complémentaires à rapprocher/connecter
Dans le monde entier, des jeunes s’interrogent sur leur futur, la pandémie de la Covid-19 a amplifié cette inquiétude, leurs questions et leurs demandes restent actuellement sans aucune réponse. Youth for Climate, avec Greta Thunberg, les marches pour le climat, les grèves étudiantes chaque vendredi, le « manifeste pour un réveil écologique », sont autant d’exemples d’appels pour faire bouger le monde et donner du sens à la vie d’aujourd’hui et de demain.
Cette demande de sens prend des formes diverses suivant les territoires, mais correspond toujours à une très forte aspiration commune, celle de s’exprimer librement, d’être écouté, d’être force de proposition, de travailler dans des organisations responsables dont les activités contribuent à un monde durable, et surtout de participer davantage aux processus décisionnels. Les jeunes ont des attentes très fortes, ils sont prêts à s’engager, dans la mesure où des perspectives d’avenir s’ouvrent à eux.
Les défis d’aujourd’hui, et les objectifs à atteindre pour un monde durable, concernent non seulement les jeunes qui ont déjà pris la dimension des enjeux planétaires, mais également tous les jeunes : l’accès aux ressources en eau, à l’énergie, l’éducation, l’emploi, mais aussi la discrimination sociale, la gouvernance, le maintien de la biodiversité… Ces défis communs ne peuvent être relevés qu’à partir d’une bonne compréhension de ce contexte global par toutes les parties prenantes et avec des engagements collectifs forts.
La jeunesse africaine, elle, est dans une impasse : comme l’écrivaine sénégalaise Ken Bugul l’explique, les jeunes générations sont désorientées et déboussolées, car elles grandissent au milieu de la corruption et de la mal-gouvernance, dans une société de plus en plus matérialiste à laquelle elles sont mal préparées, et elles n’ont pas du tout les moyens de participer.
Le rapprochement multidimensionnel de ces jeunesses européennes et africaines, celles qui ont compris les enjeux et celles qui doivent encore les comprendre, celles des territoires urbains et celles des territoires ruraux, n’est pas une option, mais un impératif, une nécessité vitale.
L’Europe dispose de l’une des jeunesses les mieux éduquées et formées au monde et l’Afrique de la jeunesse la plus débrouillarde et résiliente. Miser sur l’intelligence collective entre ces jeunesses est la seule chance de faire face aux défis titanesques à relever au cours du XXIe siècle, satisfaisant à la fois des intérêts collectifs et individuels. Ce modèle gagnant-gagnant est aussi l’occasion de sortir de la relation délétère donateur/bénéficiaire.
On doit aussi compter sur les diasporas africaines en Europe et les jeunes européens des régions ultrapériphériques, tant dans l’océan Atlantique que dans l’océan Indien, qui sont un atout considérable. Les liens historiques, économiques et culturels qui unissent ces populations à plusieurs pays africains font d’elles des connecteurs et facilitateurs naturels entre l’Afrique et l’Europe.
La mobilité au service d’un projet commun d’avenir durable
L’Union africaine et l’Union européenne se sont dotées d’outils stratégiques de croissance et de transformation pour les prochaines décennies : l’Agenda 2063 pour l’UA, dont la finalité est une Afrique prospère fondée sur une croissance inclusive et un développement durable ; le Pacte vert de l’Europe pour l’UE, qui veut être le premier continent neutre en carbone en 2050. Ces deux programmes se font écho et répondent aussi aux Objectifs de Développement durable formulés par les Nations-Unies, et à l’accord de Paris.
La prise en compte concomitante de ces deux cadres stratégiques qui suivent un même objectif de long terme offrira aux jeunesses africaines et européennes un projet commun d’avenir durable. Pour faire aboutir ce dessein, il faut d’abord que, sur chaque continent, les populations prennent conscience de l’importance de l’autre pour leur avenir. La mise en place d’un système de migration circulaire entre les deux continents, pour permettre un brassage et une compréhension globale et mutuelle, est nécessaire.
Cette mobilité, en mettant en réseau et en faisant voyager entre le Nord et le Sud les jeunesses africaines et européennes de la façon la plus large possible, tout en privilégiant le retour dans son pays, permettra une accélération de la connaissance et de la reconnaissance de l’autre et facilitera la formation de tous, ainsi que des montées en compétences par l’échange au bénéfice des territoires. Ce principe, à l’image des programmes européens Erasmus pour les étudiants et les pour jeunes entrepreneurs, est recommandé par le Parlement européen. Cette mobilité doit prendre des formes variées : stages, sessions de formation, échanges culturels. Ce n’est qu’avec ce type d’actions qu’une alliance sera possible entre les deux continents pour un monde durable.
Misons sur la jeunesse eurafricaine
La relation entre l’Afrique et l’Europe doit forcément prendre au plus vite un tournant majeur pour qu’un avenir acceptable soit envisageable à la fois pour les Européens et pour les Africains. La première urgence est de faire naître et perdurer un sentiment d’appartenance à un espace naturel commun. Malgré leur proximité géographique, les liens historiques, culturels et socio-économiques forts avec l’Europe, la jeunesse africaine est en effet désormais courtisée avec beaucoup de succès par les États-civilisation dont les valeurs et la vision du monde à venir sont aux antipodes de celle de l’Occident.
Depuis cette année la Chine est devenue le pays à recevoir le plus d’étudiants africains, détrônant ainsi la France. De plus, des événements comme le Festival de la jeunesse Chine-Afrique, permet depuis 2016 aux jeunes Chinois et Africains d’approfondir des échanges amicaux. La Turquie, avec le Conseil de Jeunesse Turquie-Afrique, formera quant à elle près de 750 jeunes leaders africains et turcs d’ici 2023, et disposera alors de représentants dans les 54 pays africains, et ce type de pratiques se multiplie, de la part des États-civilisation.
Certes, il existe déjà des points de rencontre entre les jeunesses africaines et européennes : en 2017, le 4ème Sommet Afrique-Europe de la Jeunesse insistait déjà sur le rôle crucial des jeunes dans le Partenariat Afrique-UE. Multiplier les canaux de rencontre, qu’ils soient physiques ou virtuels, est indispensable.
Enfin, il est crucial de rappeler que le Parlement européen dans sa résolution du 25 mars 2021 intitulée « Nouvelle stratégie UE-Afrique » souligne que les relations de l’Union européenne avec l’Afrique sont de la plus haute importance pour l’avenir de nos deux continents et que leurs prospérités sont intimement liées. Nos deux jeunesses sont le ciment de cette relation, connectons-les et misons sur elles !
Adrien N’Koghe-Mba
Franco-Gabonais, à Rennes Adrien est le président de Wany, entreprise dont la mission est de connecter les jeunesses africaines et européennes autour du Développement durable. À Libreville, il est directeur général de l’Institut Léon Mba. Adrien est également membre du comité directeur du Club Objectif Avenir Afrique (O2A), think-tank dédié, entre autres, à rapprocher l’Europe et l’Afrique sur des bases renouvelées.
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