La France était la fille aînée de l’Église. La conséquence principale, le résultat dans les faits de la révolution a été, outre la redistribution des terres, que l’État fasse sien un discours d’Église. Désormais, l’État copiait en les laïcisant les bulles papales, et constituait en dogmes ce qui n’était alors que des méthodes de droit séculier.
Hors Versailles, avant la révolution, les usages locaux prévalaient. Certains sentaient la campagne à plein nez. Ainsi, dans certains bailliages, le droit de grenouillage, qui imposait aux paysans de battre avec de longues perches les mares trop coassantes la nuit, car le hobereau local devait pouvoir dormir en paix… Après la révolution allait prévaloir le culte de l’abstraction : « Service Public », « les intérêts supérieurs »… Ces notions existaient sous la monarchie, mais n’avaient pas la charge que les XIXème et XXème siècles allaient leur donner et qui, reconnaissons-le, permirent par exemple les chemins de fer nationaux. Mais on agissait alors par régie ou concession de service public.
On le sait, la révolution à son origine visait l’appauvrissement volontaire du périmètre d’intervention, précisément, de l’État. On fixait des règles. Finies les lettres de cachet. Sauf que deux tendances, Girondine et montagnarde pour faire court, ne cessèrent sous les régimes successifs de se faire front et, à l’exception de la troisième république — et encore ! oublions le Clemenceau de 1917 — la Montagne de Robespierre l’emporta toujours à la fin des fins. Il faut le dire, le redire et le redire encore : la France est le seul pays au monde à avoir introduit dans son droit la notion de Terreur (10 juin 1794). Elle n’en est pas sortie. Avec quelques conséquences mondiales : les dirigeants khmers rouges ont été formés en France et le Premier ministre de Mao, Zhou-Enlai, personnage considérable à l’origine de notre échec en Indochine (1949-54) puis l’actuelle tutelle chinoise sur le Vietnam, devint communiste à Paris et Montargis. C’est dire, en un mot, que la révolution, qui visait des buts de libertés, a été retournée. Aucun opposant à la monarchie absolue, et notamment les trois Provençaux, Mirabeau, Barras et Sade, ne voulait parvenir à cela. Mais ces révolutionnaires, ils l’exposent dans leurs écrits pour le condamner, minoraient un risque : l’échauffement qu’entraîne une dynamique. Plus on veut réformer, plus on risque de renforcer, encore et encore, le Léviathan.
C’est que l’on appellera plus tard « le principe du plus grand prédateur ». Le clan humain de la caverne se place sous la protection de l’homme dominant le plus cruel. Car ce tyran intercède entre la peur que chaque enfant, chaque personne faible éprouve face aux éléments naturels, aux catastrophes, aux autres clans que le tyran repousse voire extermine, et on accepte sa férule parce qu’on a peur. Et ensuite, le pouvoir du tyran assis, on a peur de retrouver sa peur face aux éléments naturels si le tyran s’en va. Avec Napoléon, la Cour s’ennuie, mais la France des notaires s’installe. La paix civile est rétablie par les préfets et les gendarmes. Notre pays, hormis chez Marcel Pagnol — et encore ! — n’a cessé d’avoir peur. D’un certain point de vue, la révolution est impossible. On retombe toujours entre des mains dominantes. On passe juste de Louis XVI, homme pondéré et pacifique, à Napoléon, Fouché… et la guerre sans fin.
Nos présidents de la République habituels (les exceptionnels ont été des rebelles, de Gaulle, Mitterrand, voire, d’une manière différente, Chirac) sont, eux, d’insupportables bons élèves qui, j’ose l’écrire, ont des horizons bornés. Quiconque n’a pas fait l’école buissonnière ignore l’odeur des buissons. Il manque en France un organisme de constat, une sorte de service après-vente : établir ce qui a été fait par le président sortant.
L’exercice serait savoureux. Pour faire court : excepté de Gaulle, Giscard est le président le plus à gauche, Mitterrand le plus à droite.
Pour 2022, le constat va être terrible. Les deux présidents hollando-macroniens auront été des catastrophes. Par leur vide. Il suffit de citer un domaine, essentiel pour la survie de notre peuple : la politique étrangère et « européenne ». Le départ tragique de l’Angleterre — sans que l’Europe et sa nomenklatura se remettent en cause pendant le Brexit — déporte le centre de gravité de l’Europe à l’Est, et on apprend que l’Allemagne elle-même « oublie » désormais d’informer Paris de telle initiative prise avec Washington en matière de matériel de Défense. Les positions allemandes sur l’Est européen creusent jour après jour le fossé avec Moscou, ce qui constitue une aberration géostratégique. L’Allemagne négocie avec Moscou sans autrement prendre en compte une France qui a fondu. Macron a-t-il une carte dans son bureau ? Dans l’affirmative, s’il la regarde, la voit-il ? Sans la Russie, l’Europe n’existe pas. Le plus grand territoire du monde est peut-être un désert démographique, le réchauffement risque d’en faire une terre d’attraction pour des voisins du Sud écrasés par les besoins de leur population, et le dessein très clair de leurs dirigeants. Arcady Stolypine, fils du grand dirigeant politique de Nicolas II, publiait en 1971 « La Mongolie, entre Moscou et Pékin ». Si la Mongolie saute, l’Oural ne sera pas loin. Ce n’est pas de la politique fiction. La Covid, vous connaissez ? Ce n’est pas le titre d’un film d’anticipation.
La France est écrasée par la masse des questions auxquelles elle ne répond plus. Trop occupés à sauver leur pouvoir chancelant, les présidents hollando-macroniens ne peuvent remettre à sa place un ami américain qui, mal élevé, a tendance à dormir dans notre lit. L’américanisation dramatique des méthodes de gestion et de mœurs de la vague 1990-2020 a entraîné des conséquences que tout le monde voit et qui ne sont pas meilleures que les fraudes à l’immigration du Sud : de l’antiracisme de façade au vrai racisme au quotidien, du « féminisme » agressif à l’obésité d’une jeune génération malade, de l’esclavagisme des porteurs de nourriture à vélo pour des bobos qui ne voient pas qu’ils sont morts, la France s’affale. L’État n’a jamais été aussi présent, les communiqués de presse s’enchaînent comme des perles — souvent avec des perles — et jamais l’État n’a été aussi impuissant. Le pouvoir n’a plus de prise.
Finalement, si les Français se sont massivement abstenus aux élections, c’est parce que le président thaumaturge n’est pas là. Macron est pathétique, Jupiter n’est pas le grand prédateur, et contrairement à ce que beaucoup prédisent, il n’est pas certain que nos compatriotes se mobilisent davantage en 2022 qu’en 2021. Pourquoi ? Dans la chronique « L’Académie montre la voie » (a-t-on le lien ?), j’exposai que lorsque l’Académie française ne veut d’aucun des candidats, elle procède par le vote d’une croix apposée sur le bulletin. L’abstention, pour une large part (surtout à ce niveau !) ne peut être assimilée à un détachement de pêcheur à la ligne ou de peintre du dimanche. Elle exprime avec force, du fond de la caverne dont décidément on ne veut voir que les ombres, le rejet des présidents qui ne servent à rien. Mais empêchent par leur présence un vrai pouvoir de s’exercer.
Sagement, l’opposition républicaine maintient ses usages, et assure de fait — quel que soit son étiage pour demain — des possibilités.
La France, elle, parallèlement, fait le dos rond, oublie nos insupportables bons élèves de l’Élysée et d’ailleurs, rejettera tôt ou tard ce qui lui fait trop mal. Elle se reconstitue sur de nouvelles fondations, dont on perçoit à peine affleurer les premières pierres.
Jean-Philippe de Garate
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