Opinion Internationale : Alain Dupouy, vous êtes chef de rubrique Afriques et Outre-Mer et président du Club O2A (Objectif Afrique Avenir). Comment réagissez-vous à l’assassinat du président de la République Jovenel Moïse survenu le 7 juillet 2021 ?
Alain Dupouy : en tant qu’amoureux de la Caraïbe, je suis touché par les nouveaux troubles qui ensanglantent Haïti. Haïti est si proche de nous ! On ne peut rester indifférents et je suis révolté pour le peuple haïtien.
J’ai connu Haïti, certes à une époque peu glorieuse : je vois encore le fils Duvalier Jean-Claude distribuer quelques dollars par la fenêtre de sa Rolls à quelques jeunes dans les rues de Port-au-Prince. Ses successeurs ont eux aussi cédé aux sirènes de la corruption.
C’est un commando international qui a assassiné le chef de l’État haïtien. Cela signifie quoi ?
Après les Tontons Macoutes de Duvalier, la garde rapprochée de mercenaires de papa Doc, le père Dubvalier, nous avons maintenant les gangs.
Cela montre que de puissants réseaux internationaux de corruption pèsent de plus en plus dans des pays pauvres et fragilisés par l’absence ou la gangrène de l’État. L’ensemble de la communauté internationale doit prendre ce meurtre politique comme une alerte qui est loin de concerner uniquement Haïti.
Que peut faire la communauté internationale ?
Tout d’abord, celle-ci a des moyens de pression notamment avec l’aide humanitaire internationale : elle n’aurait jamais dû accepter que Jovenel Moïse se maintienne au pouvoir au-delà du terme légal de la Constitution et qu’il se représente. L’élection de Moïse avait suscité beaucoup d’espoir en 2017, mais la confiance accordée avait rapidement été ruinée par la corruption. La priorité est de remettre de l’ordre dans les institutions et la communauté internationale peut y contribuer.
Désormais le conseil de sécurité doit saisir cette tragique situation pour tenter de proposer une coalition internationale qui s’adresse aux leaders politiques haïtiens et leur tienne un discours de vérité.
Et les États-Unis ne doivent pas être les seuls à intervenir. Rappelons qu’en 2010 lors du tremblement de terre qui avait tué plus de 300.000 personnes, Bill Clinton s’était rendu sur place. Le chanteur Bono s’y est installé plusieurs mois. Un concert caritatif avait mobilisé les plus grandes stars américaines.
Mais Haïti c’est la francophonie aussi : 12 millions de citoyens francophones ! C’est une part de nous, de la Caraïbe francophone. Même si Haïti a pris son indépendance depuis deux cents ans, la France, le président Emmanuel Macron, doit être aux côtés de Haïti, prendre les devants et des initiatives fortes pour aider les Haïtiens à redresser la situation.
Je me souviens de ces paroles en créole du célèbre groupe Tabou Combo au Zénith de Paris il y a quinze ans chantées avec Jocelyne Béroard : « an tendwess pou yo », « an respé pou yo, libété pou yo ». La tendresse, le respect, la liberté pour eux ! Ils y ont droit !
Je me joins à cette chanson haïtienne : « son mizik cé son la ri a ! » La musique haïtienne, c’est le son de la rue. Sachons donc entendre le peuple implorer dans ces œuvres qui viennent de loin.
Il faut pour Haïti et ses 12 millions d’habitants un nouvel affranchissement : après celui de la colonisation, celui de la violence et de la corruption est venu. Sinon la corruption conduira à la ruine du pays.
Propos recueillis par Michel Taube
Notre indépendance, c’est vous !