France
15H16 - jeudi 15 juillet 2021

Fatou Diome : « Dire NON à Marine Marchande de Haine »

 

© Astrid di Crollalanza

Opinion Internationale vous propose une première série d’été 2021 : « Vive la France ! ». Chaque jour, un regard optimiste, une approche innovante ou décalée, des questions qui peuvent fâcher mais surtout des raisons de nous rassembler autour de valeurs communes !

 

 

En partenariat avec le site Africavivre, interview exclusive de l’écrivaine franco-sénégalaise Fatou Diome à l’occasion de la sortie de son nouveau livre « De quoi aimer vivre » (éd. Albin Michel).

Lors de la rencontre entre le journaliste Thomas Gaschignard du site Africavivre et l’écrivaine franco-sénégalaise qui a eu lieu en avril dernier au siège d’Albin Michel à Paris, Fatou Diome s’est exprimée sans langue de bois sur Marine Le Pen, la polygamie, les violences faites aux femmes…

 

Dans « Marianne porte plainte », vous dites que vous vous êtes senti une obligation d’écrire sur la présidentielle de 2017 : « Écrire cette prose aux relents de meeting d’automne, je ne le souhaitais pas, mais que me serais-je dit si, guigne des guignes, la Marine Marchande de Haine accostait à l’Élysée en mai 2017 ? »

Fatou Diome : Oui, ce n’est pas que je me sente puissante pour le faire, au contraire, mais je participe, je veux faire partie des gens qui se lèvent pour dire « non » à Marine Marchande de Haine. J’aurai au moins la conscience tranquille d’avoir été là pour dire mon petit « non » à moi. Donc cela a été une obligation. J’aurais préféré écrire un livre qui fasse rêver plutôt que celui-là qui grinçait des dents.

 

Nous sommes à un an de l’échéance présidentielle de 2022, alors probablement va-t-on vous demander cette fois encore : « Qu’est-ce que vous pensez de Marine Le Pen ? » car il y aura Marine Le Pen, au moins au premier tour.

Fatou Diome : Elle ne gagnera pas car je lui jette un sort. Ce n’est pas elle qui va gagner car si elle va à l’Élysée, moi j’ai des plumes, je suis un pélican et j’irai survoler l’Élysée !

 

Pourquoi dites-vous qu’elle a déjà perdu ?

Fatou Diome : Parce que je pense que la France que j’aime, que je connais, que j’imagine, ne se laissera pas faire. J’aurais une attaque cardiaque si la France laissait faire ça. Et les abstentionnistes, comme je le disais dans « Marianne, porte plainte », mériteront des coups de latte, parce que s’ils ne se mobilisent pas, la Marine Marchande de Haine, elle, mobilise tous ses militants.

Mais je ne pense pas qu’elle puisse gagner. En tout cas pas maintenant, surtout avec tout ce qu’on vient de traverser. D’ailleurs, quel est son programme économique ? « Je ne veux pas des migrants et je ne veux pas de l’Europe » ?

 

Quelle est votre position sur la polygamie ?

Fatou Diome : Les femmes ont pendant très longtemps pensé qu’il fallait supporter la polygamie pour être une bonne épouse. Mais une certaine docilité confine à l’hypocrisie. Moi je ne l’ai pas, cette docilité-là. Je prends position sur ce sujet parce que dans la jeune génération, il y a des jeunes femmes qui m’entendent, qui vont à l’école comme j’y suis allée et qui peut-être, tout comme moi j’accepte de me faire taper dessus sur ce sujet, vont oser se détacher de la polygamie.

 

Vous sentez-vous concernée par le combat féministe actuel ?

Fatou Diome : Étant donnée la manière dont j’entends parler du féminisme, je ne me sens pas concernée, même si quand les gens me reconnaissent dans leur combat, c’est un honneur pour moi. Moi ça fait longtemps que je suis presque un mec aux yeux de ceux qui n’imaginent une fille qu’avec une poupée. Petite, j’allais en mer avec mon grand-père alors que certains garçons avaient la trouille d’y aller.

Par contre, je comprends de manière solidaire le combat de toutes mes sœurs à travers le monde. Et je refuse qu’on me demande de partager les femmes du monde entre les Asiatiques, les Africaines, les Européennes, les blondes, les brunes… Pour moi une nana c’est une nana et quand on lui met une baffe elle pleure, et elle pleure pareillement à Tokyo ou dans mon village. Donc mon combat, c’est toutes les femmes à travers le monde, il est universaliste.

 

Dans le « Ventre de l’Atlantique » vous dites : « Sur ce coin de la terre, sur chaque bouche de femme, est posée une main d’homme ». Y a-t-il une forme de violence exercée sur les femmes dans votre culture d’origine ?

Fatou Diome : Cette main, elle est parfois physique ou bien elle est au figuré. Il y a d’abord l’autorité du père, puis l’autorité du mari, et après le mari l’autorité du fils si la dame est veuve. Mais ça, c’est un fait récent dans ma région. Mon ethnie, les sérères, ce sont des lignées matrilinéaires et c’est l’éducation que j’ai reçue. Donc après ma grand-mère j’étais censée être la matriarche. Là-bas, avant, quand une fille parlait, ses frères l’écoutaient parce que les terres, c’est elle qui les distribuait, elles se transmettaient de mère en fille.

Maintenant, l’islam est venu, ainsi que le christianisme, pour nous dire qu’une femme, ça vient d’une côte fêlée d’un homme. Mais ma culture d’origine dit que les femmes sont aussi complètes que les hommes et du coup, je me suis sentie plus libre en grandissant, surtout élevée par des anciens.

 

On dit parfois que ce sont les femmes qui sauveront l’Afrique. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Fatou Diome : Moi j’ai des frères, j’ai des sœurs, et j’aimerais leur accorder le même regard de dignité. J’aimerais leur donner le même optimisme, la même fierté. J’aimerais que les filles comme les garçons d’Afrique se disent « Nous aussi, nous avons notre place dans ce millénaire, nous aussi nous avons un futur à bâtir. » Mais pour cela, il faut qu’on les libère de ceux qui prennent leur cerveau en otage pour leur répéter la rengaine historique de la douleur. Si nous combattons parfois, parce que révoltés par les mêmes choses, la manière d’y aller est très différente. Ce qui me chagrine alors parfois en Europe, c’est que dès qu’on est noir, on nous met tous dans le même sac quand il s’agit de nos combats.

Or moi, ma manière de mener mon combat pour la dignité de l’Afrique, ce n’est pas de se lever pour boxer quelqu’un. Mon grand-père disait « on peut se battre sans battre les autres ». Je ne cherche pas à battre quelqu’un, je ne cherche pas à maltraiter quelqu’un, je cherche juste à trouver mon chemin. C’est plus constructif, plus positif d’apprendre à quelqu’un à s’élever pour changer son devenir, sans forcément se mettre en opposition ou faire preuve d’agressivité vis-à-vis de qui que ce soit. Je trouve ça plus souverain. Et plus redoutable. Car lorsque vous êtes comme ça, personne n’a d’emprise sur vous, alors que les gens qui râlent avec leur militantisme agressif, ils sont comme sous tutelle.

 

Est-ce que vous vous considérez comme une écrivaine engagée ?

Fatou Diome : Non. Je me considère comme « Fatou Diome essayant de survivre ». Notamment quand on m’insulte parce que je critique la polygamie ou d’autres choses.

 

Effectivement, vous dites que vous vivez la difficulté d’être l’autre partout. « Je marche sur le pont de la fraternité que les rancuniers africains et les courtes mémoires françaises rechignent communément d’emprunter ». Et aussi « L’égoïsme du Nord me tourmente, surtout lorsque je dois l’expliquer à ceux qui, là-bas, me reprochent de revendiquer ma nationalité française autant que la Sénégalaise. » Donc vous vous faites critiquer de toutes parts en fait ?

Fatou Diome : Ma liberté tient parfois sur cette lame de la ligne de ma carte d’identité. Je suis à la fois l’accusatrice et la défenderesse. Je suis aussi « décolonisée », donc je dois dire à Marianne ses quatre vérités, les yeux dans les yeux, même si elle a été une mère adoptive formidable pour moi. D’où ma formule : Marianne ne m’a pas adoptée pour que je lui cire les pompes.

 

 

Thomas Gaschignard

 

Pour se procurer le livre de Fatou Diome « De quoi aimer vivre » : ICI.

 

 

 

Fatou Diome Bio Express

© Astrid di Crollalanza

Fatou Diome est née en 1968 à Niodior au Sénégal. 

Elle commence à écrire à 13 ans. Elle arrive en France, à Strasbourg, à 25 ans, pour suivre son mari français.

Après un divorce, Fatou Diome reste seule sans ressources, mais elle se bat pour suivre des études de lettres et de philosophie à l’université Marc-Bloch de Strasbourg. Après une thèse de littérature, elle enseigne à cette même université et en Allemagne.

Puis elle publie un recueil de nouvelles, La Préférence nationale, en 2001, suivi d’un roman Le Ventre de l’Atlantique, en 2003, qui lui vaut une notoriété internationale, et qui est traduit en 25 langues.

Son œuvre explore notamment les thèmes de l’immigration en France et de la relation entre la France et le continent africain.

 

 

 

 

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