Le président américain rencontre le roi de Jordanie
Le roi Abdallah II de Jordanie est le premier leader arabe à rencontrer le président américain Joe Biden. C’était à la Maison-Blanche le 19 juillet.
On peut se demander pourquoi Joe Biden a choisi de rencontrer le souverain hachémite en premier, et non le roi d’Arabie Saoudite, ou son prince héritier, ou le général Al Sissi, président égyptien, principaux alliés des Américains au sein du monde arabe au Proche-Orient.
Pourtant, le pouvoir du roi de Jordanie paraît bien fébrile ; la dernière tentative de renversement, à laquelle semble avoir participé même son demi-frère, illustre cette très grande fragilité. Il ne faudrait bien évidemment pas que la Jordanie sombre dans le chaos version syrienne ou dans la main des ayatollahs iraniens.
Ce pays, même s’il est de construction très récente, même s’il ne dispose guère de ressources naturelles, est pivot dans la stabilité régionale. Son effondrement entraînerait toute la région vers l’inconnu alors qu’à Téhéran, le clan des durs semble avoir repris tous les pouvoirs avec l’élection de Raïssi.
Naissance de la Jordanie
Après la Première Guerre mondiale, Britanniques et Français décident du devenir du mandat britannique sur la Palestine. Le nom « Palestine » a été lui-même attribué il y a près de deux mille ans par l’empereur romain au royaume d’Israël après une révolte des Hébreux contre le pouvoir de Rome. Il fut choisi à l’époque pour humilier les Hébreux, en rappelant le souvenir des Philistins grands ennemis du royaume d’Israël (dont Goliath, de Gaza).
La Palestine mandataire est divisée en deux.
D’un côté du Jourdain, le fleuve de ce territoire, à l’est, l’état hachémite de transjordanie, et à l’ouest du fleuve, la Palestine pour le foyer national juif, qui deviendra en 1948 Israël. Mais dès 1948, la Transjordanie, avec sa Légion Arabe, armée arabe formée par les Britanniques pour lutter contre les Allemands pendant la Seconde guerre mondiale, envahit la Judée et Samarie, et la moitié de Jérusalem, occupe et annexe ses territoires, qu’elle nomme Cisjordanie, pour la distinguer de la Transjordanie.
Le roi Abdallah I baptise alors son royaume Etat Hachémite de Jordanie, en ôtant le préfixe trans, état communément appelé depuis Jordanie. À la faveur de la guerre des six jours, Israël récupère en 1967 Judée et Samarie, et l’intégralité de la ville de Jérusalem. Il est donc loin d’être étonnant que les Jordaniens soient majoritairement palestiniens, ne serait-ce que par changement de nom du pays.
Rappelons aussi que les Hachémites étaient la famille, descendante de l’arrière-grand-père de Mahomet, qui contrôlait à ce titre La Mecque, les fameux chérifs et émirs de la Mecque. Les Hachémites avaient perdu le pouvoir sur la péninsule arabique et sur les lieux saints musulmans au profit des Saoud, famille de riches commerçants, et il fallait bien que les Britanniques les récompensent de ne pas avoir soutenu la révolte à Damas contre les Français dans les années 1920 par le propre frère d’Abdallah, en leur accordant ce vaste territoire, et en les laissant à la tête de l’Irak via une autre branche familiale.
Tout ceci pour rappeler les liens forts historiques et familiaux, comme les inimitiés familiales et tribales, dans ce Proche-Orient compliqué.
L’économie jordanienne dépendante
Ajoutons que la Jordanie ne dispose que de très peu de ressources naturelles. Elle vit du commerce, du tourisme, des échanges internationaux et du transit du pétrole via les oléoducs.
Aujourd’hui, l’économie jordanienne, du fait des guerres en Irak, de la guerre civile en Syrie et au Yémen, mais aussi de l’incapacité du pouvoir en place à sauter dans le train des accords d’Abraham au bon moment, est en situation catastrophique : 25 % de la population est au chômage. Sans compter l’Iran, qui n’a de cesse de profiter de toutes les failles possibles pour rapprocher ces troupes et ses supplétifs de ses deux grands ennemis, Israël et l’Arabie Saoudite. Toutes les conditions sont réunies pour permettre un renversement du pouvoir politique.
Un roi prêt à négocier son alliance
Aussi, il n’est pas étonnant de voir le roi Abdallah II osciller, négocier son alliance, souffler le chaud et le froid dans les relations entre la Jordanie et Israël, l’Arabie Saoudite et bien sûr les États-Unis. Il n’est pas surprenant, dans cette région où la diplomatie s’accommode souvent de double ou triple jeu, de trahison, de double langage en tout genre, de le voir accepter les « visiteurs iraniens » dans une ville vénérée par les chiites et espérer 1 million de « touristes iraniens », avec tous les investissements de Téhéran qui vont avec, en dépit des réticences américaines, alors que Abdallah II comme son père ne doivent leur survie politique et physique qu’à la protection américaine et à l’efficacité et la pertinence des informations du Mossad…
Biden sait et comprend tout cela, lui qui pendant un demi-siècle a été un fin observateur des relations internationales et de cette région en particulier. Il le reçoit ainsi en premier, avec le fils d’Abdallah, héritier désigné, signe supplémentaire de l’importance qu’accorde Biden à Abdallah et à la Jordanie. Il sait qu’il faut aider la Jordanie à sortir de ce marasme économique, tout en maintenant ce pays dans l’alliance avec Israël, les États-Unis et l’Arabie Saoudite, et qu’il faut tout faire pour éviter que ce pays ne tombe dans l’escarcelle iranienne, ou, pire, que le chaos version Damas ne s’installe à Amman !
À nous Européens de le comprendre et d’agir également !
Patrick Pilcer
Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers