Outre-Mer Martinique
15H21 - jeudi 22 juillet 2021

Vive la France ? Vraiment ?

 

Madame Valérie-Ann Edmond-Mariette, vous êtes doctorante en histoire à l’Université des Antilles et organisez des visites de la Martinique pour encourager la population à découvrir ou se réapproprier son histoire. Vous reconnaissez-vous dans la formule « Vive la France » ?

Je voudrais pouvoir dire « Vive la France » mais mon hésitation est tout simplement liée à l’expression d’une mémoire douloureuse.

C’est compliqué parce qu’il ne s’agit pas de dire « je ne suis pas Française » ; mes aïeux se sont battus pour la France lors des deux guerres mondiales ; mes grands-mères ont travaillé à la création de la Mutuelle à Fort-de-France. Ces personnes se sont engagées pour la France.

Mais à mesure qu’ils se sont impliqués, ils ont été victimes de racisme et de discriminations et leur citoyenneté a été comme amputée.

Le 14 juillet 1789 est une grande date pour la France mais il est difficile de se l’approprier.

 

Pourquoi ?

Parce qu’en 1789, il y a des centaines de milliers de personnes qui sont mise en esclavage. Et cette prise de la Bastille n’y change rien. Or, notre histoire n’est pas une sous histoire de la France. Nous ne voulons plus que les Français des outre-mer et des anciennes colonies soient invisibilisés. D’où ma réserve.

 

Votre réserve se porte aussi sur le Bicentenaire de Napoléon ?

Oui car l’homme est irrémédiablement associé au rétablissement ultra violent de l’esclavage. Pour nous, en Martinique, la mémoire napoléonienne s’incarne à travers la figure de son épouse Joséphine. Elle était une békée martiniquaise née dans une famille de planteurs de la ville des Trois-Ilets.

 

Mais pourquoi inscrire dans le présent des souvenirs si lointains ?

Vous savez le passé vit en nous, et ce particulièrement à la Martinique. Le grand changement, c’est la manière dont nous mettons les choses sur la table. Notre histoire est celle d’une France où la race est omniprésente et c’est ce qu’il faut comprendre et expliciter.

 

Vous parlez de profils socio-racisés mais il n’y a pas de races parmi les hommes, Madame… Surtout dans le modèle français de citoyenneté, ce en quoi précisément nous sommes plus universalistes que les autres. Pourquoi utiliser ce terme erroné par essence alors qu’il est question de valeurs communes ?

Ce terme n’a rien d’erroné puisque dans les sciences humaines et sociales nous expliquons que la race est une construction sociale qui a trouvé sa source dans les sociétés esclavagiste et coloniale. C’est finalement très français de ne pas penser la race, comme s’il s’agissait là d’un mot infâme. François Hollande avait voulu enlever le mot de la Constitution mais cela n’a pas abouti. Ce déni est une fuite en avant car malheureusement notre société martiniquaise reste organisée et régie par ces catégories socio-raciales.

 

Mais du coup les visites touristiques que vous organisez servent à rassembler, à unifier ou à cultiver ces différenciations ?

Mon travail ne vise pas à unifier ou cultiver. Je fais de la recherche pour permettre à tout un chacun de savoir et de comprendre ce qui s’est passé. Pour pouvoir dépasser quelque chose, il faut le connaître, comprendre pourquoi on en est là. Avant de vivre ensemble, il faut connaître l’histoire. L’histoire de la Martinique est peu enseignée à l’école chez nous, et encore moins en Hexagone.

Or l’histoire de la Martinique est, entre autres, celle d’une société esclavagiste et coloniale. Béké, Mulâtres (terme racialiste dans le croisement entre cheval et âne), Nègres, Indiens, Syriens (migrants des pays levantins), Chinois voilà les différentes strates de cette société fondée sur les catégories socio-raciales.

 

Et vous pensez quoi de notre devise républicaine « liberté, égalité, fraternité » ?

Elle est trop belle pour ne pas être appliquée à toutes et à tous, en Hexagone et dans les territoires ultra-marins. Comme disait Aimé Césaire, nous devons être « des Français à part entière et pas entièrement à part ». Ce n’est pas l’obsession d’une jeune génération de militants, vous savez. Déjà en 1789 des « libres de couleurs » portaient ce combat, clairs ou foncés de peau ils n’étaient ni esclavisés ni citoyens. Ils voulaient avoir les mêmes droits que les autres hommes libres : être des citoyens à part entière.

L’histoire de nos territoires est l’histoire de France.

 

Propos recueillis par Michel Taube

 

Valérie-Ann EDMOND-MARIETTE est une jeune doctorante martiniquaise qui a choisi dans son travail de recherche de mêler musique, histoire sociale et histoire du fait colonial. Elle obtient sa licence d’histoire parcours sciences historiques à l’Université des Antilles-Guyane, puis suit une formation d’un an de musicien professionnel au sein du CIM (école de jazz parisienne). Elle obtient son master de recherche en histoire à l’EHESS en 2018, après avoir travaillé sous la direction de Cécile VIDAL et Sara LE MENESTREL sur le rapport biguine-bèlè à travers les ballets folkloriques à la Martinique. Elle tache d’analyser et de comprendre l’opposition socio-raciale existante entre ces deux pratiques nées des pratiques culturelles d’esclavisés. « Mémoire de l’esclavage colonial, sociétés et musique aux Antilles françaises de 1956 à l’ère Kassav’ » est l’intitulé de sa thèse. Ce travail de recherche mené sous la direction de l’historien Jean-Pierre SAINTON, à l’Université des Antilles, se concentre sur l’histoire de la mémoire de l’esclavage à travers les pratiques culturelles en Martinique et en Guadeloupe. En parallèle Valérie-Ann a fondé OLIWON LISTWA, une plate-forme de vulgarisation de ses travaux de recherche, un outil sur-mesure à sa soif de partager. L’un des concepts phares d’OLIWON LISTWA, est Désann An Vil, des balades historiques des différentes communes de l’île avec des circuits originaux.

Liens utiles :

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