Dans son interview donnée au Figaro le 23 Juillet 2021, et pour asseoir sa candidature aux élections présidentielles, Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, prend une position inhabituellement précise sur la faillite pénitentiaire. Rappelons juste un fait : l’enceinte dite de sûreté de la centrale de Poissy, où vivent certains des plus dangereux criminels, est effondrée et non réparée depuis près de trois ans (mars 2019).
Le gap pénitentiaire, c’est, clairement, concrètement, une affaire immobilière. Comme on ne construit pas suffisamment de places depuis des décennies, la présidente d’Île-de-France propose avec intelligence qu’on utilise des bâtiments qui ne servent à rien : « Il faut accepter de différencier les prisons selon la dangerosité des détenus (c’est en principe, déjà fait NDR) Nous pourrons installer rapidement des centres fermés dans des bâtiments existants ou modulaires pour les primo condamnés non violents pour les priver de liberté. »
Il faut saluer un nouveau langage, celui de l’abandon des abstractions pour « parler concret ». Et notamment cette césure claire faite entre les condamnés violents – physiques ou/et sexuels- et « les autres ». Les autres prisonniers, ce sont les trafiquants de drogue, les escrocs et les nombreux voleurs. Le mélange actuel des deux catégories est dangereux, la prison étant le plus concentré des lieux de rencontre, et les prisonniers – les avocats le savent- les plus bavards des pipelettes, les plus hiérarchisés des mâles.
On oublie aussi, parce que Paris se rétracte, que la province, c’est la France moins les cent kilomètres carrés de la capitale. Il existe dans quasiment toutes les villes, de l’Aquitaine au Grand Est, de Bretagne à la région PACA, des bâtiments à rénover, parfaitement en état d’être transformés en maisons de force. S’agissant de la population à héberger, nourrir, chauffer l’hiver, comme il ne s’agira ni de terroristes, ni d’assassins, ni de violents, mais de voleurs, trafiquants et escrocs condamnés pour la première fois à une peine de prison ferme, l’encadrement ne nécessite pas quinze bataillons de gardiens de la pénitentiaire. N’oublions jamais ce principe, rappelé il y a des décennies par un certain Jean-Denis Bredin : « La prison, c’est d’être enfermé. Et rien d’autre. » Toute une littérature, des milliers de films, français ou pas, ont véhiculé une image très particulière de ce monde carcéral, masculin aux neuf dixièmes, avec des acteurs de premier plan pour figurer le Truand.
Les praticiens savent que cette image idéalisée est bien loin de la vérité. La paresse, la peur – très peu de cambriolages dans les habitations avec molosses- et d’autres caractéristiques psychologiques (un tiers des délinquants relèvent de la psychiatrie) ne peuvent obnubiler une sociologie très particulière selon les délits : entre le dealer de « quartier sensible » et l’escroc dit « de haut vol », il existe autant de points communs qu’entre un Rom migrant et la reine d’Angleterre, ou presque…
Tout ce qui, dans le discours politique, peut ramener nos chères « élites » sur notre beau sol de France, doit être salué. Demeurera l’éternelle question que l’ensemble de la classe politique refuse de traiter de front, toutes tendances confondues. La prison, pour quoi faire ? Imagine-t-on un asile sans psychiatre, un hôpital sans médecin ? Enfermer un enfant dans la cave n’a jamais fait que déclencher en lui les pires de ses pulsions : remâcher une haine qui explosera sous une forme sous une autre. Les prisons pour les non-violents, c’est bien si on n’oublie pas que la prison ne contient pas seulement la violence, elle la produit, si rien n’est entrepris à l’intérieur de son enceinte. L’immobilier, c’est bien, mais ce n’est qu’un premier pas. La prison ne doit pas être une oubliette, elle doit être emplie, et pas seulement de prisonniers.
Pour les criminels, il faut imaginer autre chose. On n’a jamais imaginé une ville-prison, mais pourquoi ? Et puisqu’il faut traiter la question, ici et maintenant, alors peut-être faudrait-il, aussi, s’intéresser au bannissement pour les pires d’entre eux. Il faudra un jour que les dirigeants de ce pays expliquent à nos compatriotes pourquoi nous devrions supporter des tueurs, des terroristes, qui n’ont rien à faire sur notre sol. Aucun président n’a expédié sur Clipperton ceux qui sèment la mort… Placés dans des conditions difficiles, ils devront alors inventer leur vie. En tout cas, ne plus prendre celle des autres.
Jean-Philippe de Garate