Quand on évoque Stephen King, on songe d’abord à la terreur, à l’horreur, surtout si on se réfère aux films tirés de ses romans.
Aujourd’hui âgé de 73 ans, le romancier américain a déjà vendu 350 millions d’exemplaires de ses livres dans le monde. 60 romans (le prochain, Billy Summers, est attendu pour le 3 août en édition anglaise), 200 nouvelles et quelques scénarios de film, Stephen King accumule aussi les distinctions.
Si le fantastique caractérise son style, il ne saurait le résumer. Par exemple le roman-fleuve « ça » (« it ») et son monstre mutant qui se transforme notamment en clown pour dévorer les enfants, est aussi un magnifique livre sur l’enfance et l’amitié.
Stephen King n’était encore qu’étudiant lorsqu’il écrivit Marche ou crève (The long walk) en 1966. On n’y trouve aucun monstre ou fantôme, aucun phénomène surnaturel. Tout y est en définitive plausible, crédible, parce que l’Homme est un animal bien étrange. Ce livre est monstrueux sans monstre. Il est terrifiant sans terreur, au sens des romans du genre.
Nous sommes aux États-Unis, dans un futur proche. Le pays est dirigé par une junte militaire, mais l’auteur ne s’attarde pas sur la situation politique. La vie semble d’ailleurs s’y dérouler à peu près normalement, apparence trompeuse que proposent en général les dictatures. Chaque année, le 1er mai, est organisée une Longue Marche en direction de la frontière canadienne, marche réservée à de jeunes volontaires, âgés de moins de 18 ans. Les candidats sont nombreux, et c’est une chance d’être sélectionné. Ils connaissent parfaitement la règle du jeu : à la fin, il n’en restera qu’un, et tous ses désirs seront comblés durant le reste de sa vie. Descendre sous la vitesse de 6,5 km/h vaut un avertissement. Parcourir une certaine distance sans embuche permet de racheter ses avertissements. Après le troisième avertissement resté vain, des soldats « éliminent » » le candidat malheureux d’une balle dans la tête. Souffler, manger, faire ses besoins… tout devient périlleux, angoissant. Cette course est un enfer. C’est plus horrible que n’importe quel roman d’horreur, parce que c’est si naturel, si normal, parce que ces jeunes sont volontaires et que la Longue Marche est la compétition la plus populaire et la plus attendue de l’année, avec les foules massées au bord des routes. On se croirait au Tour de France cycliste. Au fil des jours et des nuits de calvaire se nouent des relations intenses, parfois fraternelles entre les compétiteurs qui sont pourtant engagés dans un combat pour leur survie. Les personnages sont magnifiques et leur marche vers l’échafaud dramatique et en définitive effroyable. Certains craquent physiquement, d’autres nerveusement, jusqu’à la folie. Tous craquent. Sauf un, si tant est que l’on puisse sortir indemne d’une telle aventure.
Marche ou crève est une grandiose et cruelle histoire de relations humaines dans un contexte aussi extrême qu’impitoyable. S’y ajoute une dimension que Stephen King cultivera au long de sa carrière : le suspens. Qui sera le prochain à tomber ? Et qui sera le dernier ? Les relations amicales nées sur le bitume résisteront-elles aux épreuves de vérité, lorsque l’on rentrera dans le dur, lorsque l’on aura reçu trois avertissements, qu’on est au bout du bout et que marcher à 6,5 km/h est au-delà de la torture ? Finalement, Marche ou crève est bien un livre d’horreur, mais pas comme on l’entend habituellement. Stephen King sait, peut-être mieux que tout autre, prendre le lecteur par la main et l’emmener dans son univers. Son écriture est visuelle. Nous sommes sur la route vers une mort presque choisie, avec une chance sur cent d’y échapper avec la gloire et la fortune à la clé.
Je marche à 6,5 km/h, les pieds en sang, les muscles tétanisés, l’estomac retourné. Je ralentis et entends « troisième avertissement ». Je me retourne et aperçois le half-track, camion militaire d’où se préparent à descendre des soldats pour accomplir leur devoir. J’ai peur. Finalement, c’est bien du Stephen King, du grand, du très grand Stephen King !
Pour acheter Marche ou Crève dans le plus grand librairie indépendante de Paris, tenue par deux femmes passionnées c’est ici
Marginal Ray
Auteur compositeur conteur