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06H00 - samedi 14 août 2021

La folle épopée des prothèses

 

Au cours (et au coeur) de ce mois d’août, pour vous changer les idées, vous effrayer et/ou vous rassurer, Opinion Internationale vous offre des extraits du livre de Raymond Taube et Patrice Cristofini « eSanté et Intelligence artificielle : entre promesse du meilleur et crainte du pire » (édition Maïa). Mêlant essai (pour le présent) et fiction romanesque (pour le futur), l’ouvrage expose de manière originale et disruptive un des grands challenges de l’humanité…

 

La folle épopée des prothèses

Au jeu de la devinette visant à déterminer l’âge de la première prothèse, les bonnes réponses seraient vraisemblablement peu nombreuses. Après la Première Guerre mondiale, peut-être, qui mutila tant de soldats, arracha et déchiqueta tant de membres ? Du tout ! L’origine de la prothèse est bien plus ancienne. Peut-être sont-ce les horribles guerres moyenâgeuses, comme la célèbre guerre de Cent Ans entre les royaumes de France et d’Angleterre qui donna matière aux chirurgiens-mécaniciens pour imaginer comment prolonger la disponibilité au front d’un combattant mutilé ? Non, encore. Dans ce cas, remontons à la Grèce antique, jusqu’au sermon d’Hippocrate, 300 ans avant notre ère… Là, on approche de la bonne réponse : la plus ancienne prothèse répertoriée, celle d’un gros orteil, est exposée au musée du Caire. Elle remonte à l’Égypte antique. Le bois pour la prothèse et la gaine de cuir pour la liaison avec le pied furent utilisés pour remplacer un membre. Nous sommes encore très loin des substituts d’organes vascularisés, même si schématiquement, le cœur, organe à la symbolique particulière, n’est en définitive qu’une pompe de haute précision. De la belle mécanique, en somme, mais guère davantage !…

… Des dents aux oreilles, il n’y a que quelques centimètres et au moins un point commun : la qualification de prothèse est quelque peu usurpée, s’agissant d’un équipement capable d’amplifier certaines fréquences, principalement afin de favoriser l’intelligibilité de la voix, et ainsi éviter l’isolement du patient.

Les prothèses auditives connectées apportent un supplément de confort au patient en lui permettant de régler son dispositif, non pas directement sur la prothèse ou par télécommande, mais sur son smartphone.  Les dispositifs les plus performants permettent d’analyser en continu l’environnement sonore et d’ajuster le paramétrage automatiquement. Nous sommes effectivement loin de l’oreille artificielle. Les recherches visant à vaincre la surdité s’orientent heureusement vers d’autres directions prometteuses, comme la fabrication d’un tympan artificiel par des vers à soie, ou l’implant cochléaire.

Il en va de même en matière des prothèses oculaires : les verres optiques, si performants soient-ils, ne sont pas des prothèses. L’œil de verre d’hier, inerte et sans autre utilité qu’esthétique, pourrait-il devenir demain la plus performante des caméras, directement branchées sur le nerf optique ? Les opticiens n’apprécieraient guère cette métamorphose de la correction de la vision, même si une première étape consistait à réserver cette technologie aux non-voyants. Le chirurgien anatomiste Ambroise Paré imagina l’œil artificiel en 1575. La rétine artificielle est aujourd’hui une réalité, sous la forme d’un implant nécessitant une intervention chirurgicale. Certes, le patient aveugle ne retrouve pas la vue comme par magie. Il peut néanmoins percevoir des signaux lumineux plus ou moins détaillés, percevoir des formes et des contours. Il devra toutefois accepter une assez longue rééducation visuelle, proportionnelle à la durée de sa cécité. Le système est basé sur des lunettes équipées d’une caméra, dont les images sont transmises à un boîtier porté par le patient, qui fait office de micro-ordinateur traitant les données avant de les renvoyer vers un émetteur fixé sur la branche de lunettes. Enfin les images peuvent alors être transmises à l’implant rétinien, dans l’œil du patient. Les électrodes équipant la prothèse stimulent le nerf optique engendrant la perception lumineuse. Nous sommes encore à des années-lumière, c’est le cas de le dire, de l’œil bionique du Terminator incarné au cinéma par Arnold Schwarzenegger, mais l’idée qu’un aveugle puisse sortir de la nuit sans fin n’appartient plus au seul domaine de la fiction. Déjà, l’on songe à augmenter les performances du bien-portant (ou bien voyant) autant qu’à traiter le malade, les deux objectifs n’étant pas antinomiques. L’œil bionique télescopique, permettant de zoomer à volonté, existe à l’état de prototype et préfigure les capacités visuelles de l’homme augmenté de demain. Pour le moment, le faucon peut dormir tranquille. Pour le moment !

 

Raymond Taube et Patrice Cristofini.

Extrait de « eSanté et intelligence artificielle : entre promesse du meilleur et crainte du pire »

Disponible chez votre libraire ou sur le site de l’éditeur Maïa

Directeur de l'IDP - Institut de Droit Pratique

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