Interview de Marylène Patou-Mathis par notre chroniqueuse littéraire Anne Bassi
Préhistorienne, spécialiste du Néandertal et Directrice de recherche au CNRS, Marylène Patou-Mathis publie aux Éditions Allary « L’homme préhistorique est aussi une femme : Une histoire de l’invisibilité des femmes ».
Résumé du livre
La femme préhistorique est « invisibilisée », par l’absence de recherches, par manque de représentations ou par représentations erronées. Au travers de cet essai désarçonnant, Marylène Patou-Mathis retrace l’évolution de la prise en considération des femmes et nous donne des clés de lecture pour mieux comprendre l’enracinement de cette invisibilité dans notre histoire. « C’est comme si la femme n’avait jamais participé à l’évolution de l’humanité ! J’ai cherché à comprendre pourquoi », explique-t-elle. En utilisant les dernières recherches archéologiques, elle démontre que notre rapport aux genres n’existait pas à la préhistoire, elle déconstruit les clichés enracinés sur la femme préhistorique et restitue aux femmes leur juste place dans l’évolution humaine.
Anne Bassi : Votre essai commence ainsi : « Non ! Les femmes préhistoriques ne passaient pas leur temps à balayer la grotte ! Et si elles aussi avaient peint Lascaux, chassé les bisons, taillé des outils et été à l’origine d’innovations et d’avancées sociales ? Les nouvelles techniques d’analyse des vestiges archéologiques, les récentes découvertes de fossiles humaines et le développement de l’archéologie du genre ont remis en question nombre d’idées reçues ». Comment expliquez-vous l’invisibilité de la femme préhistorique ?
Marylène Patou-Mathis : À de rares exceptions près, les femmes préhistoriques demeurent absentes des débats jusqu’à la découverte de Lucy en 1974, une Australopithèque vieille de 3,18 millions d’années, surnommée alors la « grand-mère » de l’humanité.
Il n’existe aucune préhistorienne avant la Première Guerre mondiale. Ce n’est qu’à partir des années 1950, que des femmes commencent à investir ce nouveau domaine de recherche. Avant, tant les publications scientifiques que les œuvres littéraires et artistiques véhiculent des stéréotypes sur les femmes. Sans surprise, le regard porté sur les humains préhistoriques est masculin et les premiers préhistoriens vont calquer sur leur objet d’étude le modèle patriarcal de la répartition des rôles entre les sexes en vigueur à leur époque alors qu’aucune preuve tangible ne permettait de sexuer les tâches durant la préhistoire. Ils vont donner une vision binaire des sociétés préhistoriques : des hommes forts, courageux, protecteurs, créateurs, et des femmes faibles, dépendantes, passives et entourées d’enfants. Tableaux, sculptures, livres, illustrations de magazines et manuels scolaires ont modelé une Préhistoire imaginaire qui perdure jusqu’au milieu du XXème siècle.
Anne Bassi. Dans les sociétés préhistoriques, les hommes et les femmes avaient-ils des rôles aussi différents que ce que nous racontent les premiers préhistoriens ? Pourriez-vous nous éclairer sur le rôle des femmes à l’époque ?
Marylène Patou-Mathis : Aucune donnée archéologique ne prouve que certaines activités leur étaient interdites, qu’elles étaient considérées comme inférieures et subordonnées aux hommes. Cette vision de l’histoire procède des a priori des fondateurs de cette discipline qui naît en Europe au milieu du XIXème siècle.
Par exemple, on soutenait que les femmes ne chassaient pas. Or, elles ne participaient peut-être pas à toutes les étapes de la chasse, mais aucun indice archéologique ne permet de les exclure de cette activité. Au contraire, de récents travaux ont montré qu’elles y participaient activement. Ainsi pour procéder à la capture du petit gibier, elles se servaient d’armes contondantes ou de pièges. Lors de chasses collectives, elles rabattaient les proies ce qui nécessite de courir et un certain courage.
On soutenait également que les femmes ne pénétraient pas dans les grottes. Or, certaines mains négatives découvertes sur les parois sont celles d’hommes, mais aussi de femmes ! Situées à proximité de peintures ou de gravures, rien n’empêche de suggérer qu’elles en sont les auteures. Certaines femmes auraient donc été des artistes. D’autres études ont mis en évidence le rôle prépondérant des femmes dans l’apparition de l’agriculture et de l’existence de guerrières comme l’atteste la découverte de squelettes féminins inhumés avec des armes.
Anne Bassi. Qu’est-ce qui a permis de faire ces découvertes et de faire évoluer notre regard ?
Marylène Patou-Mathis : Pour tenter de retrouver la place réelle et non imaginaire ou présupposée des femmes dans les sociétés préhistoriques, les archéologues s’appuient sur l’étude des vestiges exhumés lors des fouilles (squelettes humains, outils taillés, ossements d’animaux…) et sur les images qu’elles nous ont laissées. Depuis une vingtaine d’années, les techniques d’analyse de ces matériels ont évolué.
Par exemple, lorsque nous découvrons des squelettes humains qui ne sont pas très bien conservés, nous pouvons désormais déterminer avec certitude le sexe grâce à l’ADN nucléaire. Pendant longtemps, un des critères utilisés, en l’absence du bassin, était la taille et la robustesse des os. C’est ainsi que des squelettes robustes ont été attribués à des hommes alors qu’il s’agit en réalité de femmes. C’est le cas de « l’homme de Menton » qui est devenu la « Dame du Cavillon », une Homo sapiens âgée de 24 000 ans !
De même, le regard porté sur l’art préhistorique a changé. Les représentations masculines sont très rares alors que les féminines abondent, ce qui peut refléter un statut social des femmes au moins équivalent à celui des hommes. Aujourd’hui, l’hypothèse que certaines, notamment les statuettes féminines, les célèbres « vénus », aient été réalisées par des femmes, voire pour des femmes, est proposée.
Les sociétés préhistoriques étaient plus diversifiées et plus complexes qu’on ne le pensait. Elles étaient différentes des nôtres. Il ne faut donc pas calquer notre modèle sociétal sur les leurs. Le patriarcat n’existait probablement pas au Paléolithique, il est probablement apparu avec le premier grand changement économique de notre histoire, il y a environ 12 000 ans, quand de chasseurs-cueilleurs nous sommes devenus des agriculteurs et des éleveurs. Aujourd’hui, non originel, ce système peut et doit être remplacé par un autre système qui reste à construire ensemble, hommes et femmes.
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Anne Bassi
Chroniqueuse littéraire, fondatrice de Sachinka
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