Interview
Alexis Taube – Le Guern, vous êtes jeune bachelier et avez été très actif dans la vie lycéenne ces dernières années, tant dans votre ville de Strasbourg qu’au niveau national, notamment auprès des élus lycéens au Conseil supérieur de l’Éducation, conseil chargé de rendre des avis et de proposer des amendements aux textes de loi qui ont un rapport avec l’éducation. Première question : comment les lycéens et plus largement les jeunes appréhendent-ils cette rentrée scolaire dans un contexte de crise Covid et de réforme du bac ?
Cette rentrée est particulière à bien des égards, et présente de multiples enjeux. Tout d’abord sur le plan sanitaire, elle est marquée par une situation très fragile, qui peut faire craindre une relance de l’épidémie avec la rentrée. En même temps, il faut tout mettre en œuvre pour revenir à un semblant de normalité.
Sur le plan politique, il s’agit de la dernière rentrée de Jean-Michel Blanquer sous le quinquennat d’Emmanuel Macron. La réforme du lycée et celle du baccalauréat ont profondément changé l’organisation du lycée tel que notre pays l’a connue pendant de longues années. La première session du baccalauréat remanié s’est tenue en juin dernier, je l’ai vécue. Cette rentrée doit permettre à tous ceux qui sont concernés, le ministère, les lycéens, l’administration, et tous les personnels, de faire un bilan de cette réforme, pour en tirer un retour d’expérience et surtout des propositions concrètes d’ajustement et d’amélioration. À cette fin, mes collègues élus lycéens au Conseil Supérieur de l’Éducation viennent d’annoncer le lancement d’une grande consultation des néo-bacheliers, afin que ce soit du terrain, et donc aussi des jeunes, que viennent le bilan et les propositions d’ajustement qu’il faudra en tirer.
On dit les jeunes désemparés, en proie à une très grande inquiétude face au monde et à leur avenir. N’est-ce pas exagéré ?
Je défie n’importe quelle personne de vivre ce qu’ont vécu les étudiants l’année dernière. Vivre plusieurs mois sans voir aucune autre lumière que celle de son ordinateur, suivre tout seul et dans un studio étudiant des visioconférences à longueur de journée, stopper toute interaction sociale à un âge où se construire et s’affirmer est la priorité… tout ça quand on a perdu son job d’étudiant ou son stage, donc avec très peu de ressources… Donc non, dire que les jeunes sont désemparés et souffrent de cette crise, ce n’est pas exagéré. Trouver aujourd’hui un job étudiant ou un poste en alternance relève du parcours du combattant, et des milliers de jeunes ont décroché et abandonné leurs études, faisant craindre évidemment un avenir difficile pour eux. Il y a eu des aides, l’État a été présent, mais vraiment tardivement.
Que pensez-vous du protocole sanitaire annoncé par Jean-Michel Blanquer ?
Ce protocole a le mérite d’être clair et structuré. Les différents niveaux d’alerte sont définis et permettent de s’adapter à l’évolution de la situation sanitaire. Comme l’ont souligné mes collègues lycéens élus au Conseil Supérieur de l’Éducation dans leur communiqué de rentrée, et avec qui je travaille sur toutes les questions liées à l’éducation, il y a un vrai souci sur l’éviction des élèves non-vaccinés si un cas positif se déclare dans une classe. Je ne pense pas que faire peser sur les enfants la décision des parents de ne pas les vacciner soit une bonne chose, ce n’est pas à eux de payer ce choix.
Revenons au Bac : sa réforme n’est-elle pas du pur « en même temps macronien » ? On a voulu supprimer le Bac, mais au final on le maintient. Qu’en pensez-vous ?
Il y a dans les réformes mises en place par Jean-Michel Blanquer deux grandes réformes à dissocier. La première, la réforme du lycée, a remanié complètement son organisation. En créant un lycée à la carte, et en supprimant les filières, notamment pour casser la filière scientifique qui était trop souvent prise par défaut par les lycéens, et qui donc écrasait les autres disciplines, la réforme permet aux élèves de se spécialiser davantage dans des domaines qui les intéressent. Bien qu’elle puisse encore être largement améliorée, je soutiens la logique de la réforme, qui permet une personnalisation plus forte de la scolarité de l’élève. J’ai vu bon nombre de mes camarades avoir la possibilité de suivre un cursus qui leur ressemble, mêlant de la musique à des maths ou encore de l’anglais en spécialité à de la physique, ce qui était impossible avant.
La deuxième réforme est celle du baccalauréat, qui a fait du contrôle continu le cœur de cet examen. Et c’est justement là que mon chemin s’éloigne de celui du Ministre. Dans un système scolaire aussi inégalitaire que le nôtre, quand d’un lycée à un autre la façon de noter peut changer considérablement, accorder autant d’importance au contrôle continu fait que cet examen perd son caractère national. Et l’on met les enseignants dans la situation difficile de devoir mettre eux-mêmes à leurs élèves les notes qui leur permettront ou non de décrocher le précieux sésame.
Vous êtes Alsacien et Breton, deux terres où les langues, notamment régionales, tiennent une place importante. Que pensez-vous du bilinguisme dès l’école élémentaire ? Ne devrait-il pas être généralisé dans tout le pays ? Les jeunes Français sont réputés parmi les moins bons en langues étrangères, ce qui constitue un vrai handicap de nos jours ?
La maîtrise d’une langue étrangère est devenue aujourd’hui une compétence absolument essentielle, notamment l’anglais. Nous sommes très mauvais en France, et c’est regrettable. Je pense qu’à travers cette question de l’apprentissage des langues, c’est le défaut majeur de notre système qui est dévoilé : trop de théorie et pas assez de pratique. Dans d’autres pays, y compris en Europe, les mathématiques sont enseignées aux enfants à travers le prisme de la vie quotidienne, avec des cas pratiques, quand en France on s’arrêtera à l’apprentissage des grands théorèmes (tout aussi importants évidemment) sans s’intéresser à l’usage que l’on peut en faire. Pour les langues, c’est pareil : les élèves sont trop peu mis en situation, ils ne font pas assez de mise en pratique. Je pense qu’imposer le bilangue dès la classe de sixième serait une avancée, comme permettre aux cours de langues de se faire en petits groupes. En dédoublant les classes de langue, sur tous les niveaux, on permettrait aux élèves de faire ce qui est fondamental dans l’apprentissage d’une langue : la pratiquer. Dans le cadre d’une réforme plus générale du système scolaire français, imposer un semestre ou une année de lycée à l’étranger serait également ambitieux et très impactant sur le niveau des élèves.
Opinion Internationale milite pour que les jeunes chantent la Marseillaise tous les lundis matins en arrivant à l’école et pour une politique très active de transmission de la laïcité auprès des jeunes. Qu’en pensez-vous ?
Je pense tout d’abord que la laïcité ne s’apprend pas, elle doit être comprise et vécue. Le problème est le même que pour les langues. Ce n’est pas en lisant la charte de la laïcité que les jeunes vont la comprendre et l’accepter. Je suis convaincu que c’est en amenant les élèves à débattre, en les accompagnant dans des projets humanitaires, culturels, sociaux, que la laïcité, tout comme les valeurs de la République en général, sera comprise et surtout acceptée. Le drame de l’assassinat de Samuel Paty nous amène à nous questionner sur l’accompagnement des enseignants et surtout sur la façon dont le sujet est amené auprès des jeunes. Le sujet de l’acceptation des valeurs de la République est le même que celui de la laïcité. Je milite pour une réforme de l’enseignement moral et civique, pour que ce cours devienne un lieu de débat, de projets, d’expression, pour que les parlementaires et les élus viennent y rencontrer les élèves et débattre à leurs côtés… Forcer les élèves à chanter la Marseillaise tous les matins ne changera rien au problème de fond qui est posé, et ne permettra pas de leur faire comprendre ce chant et tous les combats qu’il représente.
L’élection présidentielle approche. La jeunesse en sera-t-elle un des enjeux et quelle serait votre première mesure phare en leur faveur si vous étiez président de la République ?
Les jeunes ont souffert et souffrent de la crise, je pense même que ce sont les premiers impactés, donc leur avenir sera certainement un sujet central de cette campagne. Malheureusement aujourd’hui ce sujet est trop souvent écarté, ou simplement utilisé à des fins électorales, et peu de mesures sont prises pour soutenir les jeunes. Les médias ont par ailleurs leur rôle à jouer, en mettant plus souvent des jeunes en avant dans les débats politiques ou pourquoi pas en proposant des émissions consacrées pleinement à ce sujet. « C’est dur d’avoir 20 ans en 2020 » disait Emmanuel Macron il y a quelques mois, mais sa phrase est toujours autant d’actualité.
A l’heure de la rentrée universitaire et après un an et demi de cours en distanciel, la crainte d’un décrochage scolaire massif se fait ressentir. Et les conséquences d’un décrochage scolaire sont toujours catastrophiques, sans parler de la souffrance psychologique. Je pense que l’on doit beaucoup à cette jeunesse qui s’est sacrifiée ces derniers mois pour sauver les plus fragiles, et la soutenir et l’accompagner est un rôle essentiel de l’État et du futur Président.
Pour ma part, et parce qu’on ne peut se limiter à gérer la crise et qu’il faudra un jour se remettre sur les réformes de long terme, ma première mesure en faveur de la jeunesse serait une refonte totale du système scolaire. Il faut l’adapter à la nouvelle génération, aux nouveaux besoins de notre société, et y investir massivement. Les jeunes que l’on forme aujourd’hui sont ceux qui feront vivre notre pays et notre économie dans quinze à vingt ans. Quand un système scolaire ne marche pas, l’impact à long terme sur la santé d’un pays est considérable. Renforcer les filières professionnelles, laisser la possibilité aux jeunes de quitter le système scolaire général plus tôt, mais avec un bagage de connaissance solide, abandonner cette idée de collège unique et arrêter de vouloir donner le baccalauréat à tous les élèves… En bref, donner la possibilité aux jeunes de s’épanouir dans un système qui leur plait, qui leur correspond, qui leur ressemble. Voilà des pistes de réflexion pour un système scolaire du XXIè siècle, qui aurait les épaules pour affronter les grands enjeux de notre ère.
Quel message adressez-vous aux jeunes en cette rentrée ?
Je m’adresserais tout d’abord aux politiques, aux futurs candidats à l’élection présidentielle. N’oubliez pas que ce sont les jeunes qui se sont le plus massivement abstenus aux dernières élections. Je crois que le message est clair : les jeunes veulent être entendus, et bien plus que des promesses, veulent des actes de la part des dirigeants et notamment du futur Président. S’ils envisagent sérieusement d’accéder au pouvoir, les candidats doivent prendre conscience de l’ampleur de la détresse des jeunes et donc des attentes de ceux qui pourraient faire basculer le vote s’ils se mobilisaient. Aux jeunes, je leur dirais que cette année est une année de chance et d’espoir. Nous allons vivre un de ces rares moments où le peuple a l’avenir du pays entre ses mains, où la jeunesse a son mot à dire et où le choix qui sera fait déterminera notre futur.
Je dis à tous les jeunes lecteurs d’Opinion Internationale de profiter de cette élection présidentielle pour s’engager, pour s’emparer d’un sujet qui les fait vibrer, et pour faire entendre leur voix. Parce que, contrairement à ce que l’on entend ces derniers temps de façon répétée, nous sommes en démocratie, et la jeunesse peut et doit en être l’un des piliers. Alors, allez voter.
Propos recueillis par Michel Taube