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10H06 - jeudi 2 septembre 2021

Les victimes et la Justice, par Françoise Rudetzki

 


Le procès hors norme qui s’ouvre le 8 septembre à Paris à la suite des attentats sanglants du 13 novembre 2015 s’inscrit dans une déjà longue histoire, tragique et essentielle, qui est celle
de la reconnaissance des victimes du terrorisme en France.

Ces dernières, regroupées au sein de l’association SOS Attentats, ont fait depuis 1986 évoluer la place de la victime dans le système judiciaire pénal français. Elles ont désormais leur place tout au long des procédures, à travers le témoignage des parties civiles et lors des plaidoiries. Ces droits acquis grâce à l’association sont uniques au monde, de même que la procédure d’indemnisation via le Fonds de garantie des victimes.

Dans les années 1970-1986 les procès liés aux attentats étaient pratiquement inexistants, la liste est longue : non-lieux, auteurs bénéficiant de grâces présidentielles, procédures correctionnalisées impliquant l’absence des parties civiles, procès par contumace…

Après la création de SOS Attentats en 1986, avec l’aide de quelques rares, mais éminents avocats pénalistes, Maîtres Jacques Chanson, Georges Holleaux et Francis Szpiner et surtout avec la volonté d’un juge d’instruction, Gilles Boulouque, nous avons bousculé les pratiques et le droit. Des réunions informelles avec le juge, les parties civiles, l’association et les avocats des attentats de 1985-86 (14 morts, plusieurs centaines de blessés) étaient organisées afin d’informer directement les victimes de l’évolution des enquêtes. Les avocats suivaient de près les instructions et en rendaient compte à leurs clients, préparaient les victimes à témoigner, des visites au palais de justice étaient organisées, tous ensemble nous faisions œuvre de justice.

Une section antiterroriste comprenant des magistrats spécialisés fut créée en 1986, le terrorisme en France contre des populations civiles remontant à 1974 (Carlos, Action directe, Corses, Basques, Palestiniens…).

En 2011, François Molins est nommé Procureur de la République près le Tribunal de grande instance en charge pour partie des dossiers de terrorisme. Il déclenchera les procédures liées aux attentats de Montauban et Toulouse en mars 2012 contre une école et des militaires, puis en janvier 2015 celles concernant les attentats de Charlie, hyper Casher et Montrouge. En 2018 un Parquet autonome national antiterroriste est créé, dirigé par Jean-François Ricard qui fut le juge d’instruction des attentats de Paris en 1995.

En 1990, SOS Attentats obtint le droit pour les associations de se constituer elles-mêmes partie civile, nous permettant ainsi de mieux accompagner les victimes et de prendre en charge les frais de procédure jusqu’à l’obtention de l’aide juridictionnelle sans condition de ressources et le remboursement des frais de déplacement, d’hébergement et un forfait journalier. Les réunions régulières entre les victimes et les juges d’instruction sont maintenant inscrites dans le marbre.

Hostiles à la peine de mort, ces victimes ont témoigné sans haine et avec dignité dans le plus grand respect des droits de la défense.

Les plaidoiries des avocats qui regroupaient plusieurs centaines de parties civiles portaient avec force la voix de ces victimes, solidaires dans leur désarroi.

Malheureusement, en dépit du combat pour l’enregistrement des procès, de mon témoignage devant la commission présidée par Jean-François Deniau en 2005, il n’y a aucune trace des nombreux procès, ni ceux des membres d’Action directe, ni du GIA ou des responsables iraniens. Seules quelques notes prises à la volée dans la grande salle de la Cour d’assises de Paris mal insonorisée demeurent… Et quelques comptes rendus et des articles publiés dans notre revue « Paroles de victimes ».

Le procès « hors norme » des auteurs présumés des attentats du 13 novembre 2015, au stade de France, au Bataclan et sur les terrasses du 10e et 11e arrondissement de Paris (130 morts et des milliers de blessés) se déroulera sur une durée de 9 mois dans une salle spécialement construite dans l’ancien Palais de Justice, au cœur de Paris. Ce procès historique, au retentissement international, sera enfin enregistré. Il sera transmis, pour les parties civiles éloignées de Paris ou ne pouvant pas être présentes, en continu par une web-radio. Des équipes de chercheurs, historiens, philosophes et sociologues seront également présents. Il s’inscrira ainsi dans la mémoire collective, dans l’histoire et aura une valeur pédagogique. Il trouvera toute sa place dans le futur musée-mémorial qui sera construit à Suresnes d’ici quelques années.

Les défis de ce procès seront, d’une part la présence de trois procureurs du parquet national antiterroriste, des cinq magistrats du siège et leurs suppléants, des 1 800 parties civiles, de leurs 300 avocats, d’une vingtaine de prévenus, de leurs 30 avocats pénalistes. D’autre part le défi sera également de faire entendre cette « parole des victimes », la singularité de leurs témoignages, des deuils, de l’absence de leurs proches, de leur parcours, de leurs souffrances, de leur difficile reconstruction personnelle, sociale et professionnelle, du besoin de justice et de vérité.

Après ce procès, puis l’appel et la décision de la Cour de cassation (dans 3 ans au minium….), ce processus judiciaire s’inscrira dans la mémoire collective, dans l’Histoire et aura une valeur pédagogique. Ces années dédiées à la justice trouveront toute leur place dans le futur musée-mémorial du terrorisme qui sera construit à Suresnes près du Mont-Valérien, haut lieu de la France combattante et de notre mémoire nationale. Ce projet français couvrira l’ensemble des victimes et des actes de terroristes depuis 1974, date de l’attentat du Drugstore Publicis jusqu’à nos jours. Seul mémorial de la planète qui ne soit pas consacré à un seul acte.

Françoise Rudetzki

Ainsi la France s’est dotée depuis 1986 d’une politique de reconnaissance des victimes du terrorisme unique au monde tant en matière d’indemnisation par le Fonds de garantie des victimes, que du statut de victime civile de guerre et de la place de la victime dans la procédure pénale. N’oublions pas que la justice permet aussi, pour certains rescapés, d’emprunter le chemin de la résilience.

Françoise Rudetzki, fondatrice de SOS Attentats, auteur de « Triple peine » éd Calmann-Lévy 2004 et « Après l’attentat », Calmann-Lévy 2016