Berneval, aux abords immédiats de Dieppe, demeure ce village normand où Oscar Wilde (1854-1900) élit domicile au printemps 1897. Libéré de la maison de force de Reading, où il avait purgé deux ans de travaux forcés (1895-97), l’écrivain ne remit jamais un pied en Angleterre. Exténué par l’emmurement, Oscar Fingal O’Flahertie Wills Wilde allait bientôt s’éteindre – peut-être d’une méningite – à l’ombre de l’école des beaux-arts de Paris, dans un petit hôtel qui en conserve religieusement le souvenir- après avoir légué au monde son œuvre la plus humaine, sans doute la plus aboutie, la Ballade de la Geôle de Reading. L’ouvrage devrait figurer au premier rang des manuels obligatoires pour futurs juristes mais, j’en témoigne, une large majorité en ignorent jusqu’à l’existence.
De Berneval animé d’un vent marin, l’Irlandais aux cheveux tirés par le ciel avait écrit le 27 mai 1897 une des lettres les plus acérées, un des libelles les plus intelligents sur la logique normative et administrative. Adressée au directeur du Daily Chronicle, journal vendu un demi penny à Londres, la missive dénonce la réalité la moins contestable, cette part irréformable des institutions de contention et leur nécessaire soumission à des principes d’humanité : sans retour permanent, endurant, têtu, aux sources de leur utilité, la cruauté administrative l’emportera toujours sur la logique, le sens même de leur existence.
Les longues pages (840-s.) dont on retrouvera l’intégralité dans le volume « Rien n’est vrai que le beau », volume que la collection Quatro des éditions Gallimard offre à l’œil du lecteur, ne sont pas objet de curiosité littéraire. C’est d’abord un texte de réflexion politique. Oui, l’esthète Oscar Wilde avait une pensée politique. Une pensée claire, pénétrante, et pour le coup sans excès de nuances.
Tandis qu’à La Baule, se tiennent des journées dont dépend le destin de notre pays, que doit s’y reforger son armature, il est utile de relever quelques phrases de cette lettre de Wilde publiée il y a plus d’un siècle et pourtant lisse de la moindre ride. Jusqu’à la répétition du mot « stupidité » – on pourrait le substituer en français par une formule moins académique- en scande le ton. Espérons-le, le fil des lignes suivront celui de la mer libre, de la Manche de Berneval jusqu’à l’Océan qui baigne La Baule : « La cruauté ordinaire est simplement de la stupidité. C’est un manque complet d’imagination. C’est à notre époque le résultat de systèmes stéréotypés, des règlements stricts et de la stupidité. Partout où il y a centralisation, il y a stupidité (sic). Ce qui est inhumain dans la vie moderne, c’est le fonctionnarisme. L’autorité est aussi funeste à ceux qui l’exercent qu’à ceux sur qui elle est exercée » (page 840). On pourrait multiplier les citations de cette veine, de ces réflexions de nature à mener chaque agent de l’Etat et autres, à reconsidérer l’essence de sa déontologie. Là où l’objectif est dévié, manipulé, par les histrions du moment, il ne reste rien. Des bureaux parcourus de sous-chefs avec, sur leurs têtes, des serpents cruels. Les Grecs de l’Antiquité disaient que ce qui est beau est bon. On peut avoir douté de cette formule trop esthétisante mais c’était une erreur : les rictus de l’Elysée ont déformé bien des visages juvéniles : ils ont oublié jusqu’à l’existence de l’harmonie, de la Beauté.
Jean-Philippe de Garate