Agnès Buzyn, ancienne ministre de la Santé, a donc été mise en examen pour « mise en danger de la vie d’autrui » dans le cadre de sa gestion du début de la crise de la Covid-19.
Est-ce une nouvelle intrusion de la justice dans l’exercice du pouvoir politique ? La question divise la classe politique, et on préfère imaginer que cette mise en examen ne repose pas seulement sur ce que tout le monde sait déjà : des mensonges façon Tchernobyl, avec le virus qui n’arrivera jamais jusqu’à nous, puis, lorsqu’il arriva, notre préparation exemplaire pour le contrer, ou le masque inutile sinon nuisible…
Si c’est sur ces assertions que repose l’accusation, c’est tout le gouvernement, voire le chef de l’État après son mandat, qui devrait passer à la casserole judiciaire. Sauf qu’ils ont tous, y compris Madame Buzyn, obtenu de l’OMS et, en France, du Conseil scientifique, les arguments qu’ils voulaient entendre pour tenter de justifier la pénurie de masques. Hors Asie, elle fut généralisée. Même en Suisse, modèle de rigueur et d’organisation, la polémique enfla sur cette pénurie étendue aux blouses des soignants.
Non, ce n’est pas sur ce terrain qu’Agnès Buzyn, ses supérieurs et préposés, devraient avoir le plus à craindre. Au début de la pandémie, nous évoquions la « non-assistance à un peuple en danger », à propos des masques, Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement, nous prenant même pour des imbéciles. A-t-on besoin d’être scientifique, qui plus est de l’OMS ou du Conseil scientifique, pour comprendre qu’il faut se protéger les voies respiratoires face à un virus respiratoire ? En milieu confiné, des études anciennes, dont une réalisée en Suisse sur la transmission de la grippe en avion, avait confirmé l’évidence, au cas où des doutes subsisteraient. Certes, on trouve aujourd’hui encore quelques médecins en mal de célébrité, qui nient l’utilité du masque, entre autres mesures barrières.
Il était pourtant possible de nous expliquer qu’il fallait se protéger la bouche et le nez, dans un métro, un bus, un supermarché, voire au travail. Un masque fait maison, un foulard, n’importe quel morceau de tissu, aurait été mieux que rien. Si l’on condamne l’ancienne ministre de la Santé sur la base de ce que l’on sait déjà, il serait logique que ce domino fasse tomber tous les autres, Conseil scientifique et OMS compris. Puis viendrait le tour des leaders et militants antipass et antivax, sans parler des complotistes. Combien de morts ont-ils ou devraient-ils avoir sur la conscience ?
Ne faudrait-il pas, comme en Espagne, classer sans suite les « plaintes covid » ? En France, tout devient matière à procès, comme désormais les effets secondaires du vaccin. Mais si Emmanuel Macron n’avait pas opté le 12 juillet dernier, certes bien des mois trop tard en raison de l’absence de vaccin français, pour une fois avec autorité, pour une très forte incitation à la vaccination, combien de victimes et d’ayants droit auraient été fondés à dénoncer la défaillance de l’État et de ses plus hauts serviteurs dans la protection de notre santé ?
Alors oui, Agnès Buzyn a fauté. Comme tant d’autres. Une sanction politique et non judiciaire aurait donc dû lui être infligée : celle de ne pas la récompenser de ses incompétences (ne parlons pas de la Bérézina qu’elle a subie dans la course à la Mairie de Paris) en la nommant Ambassadrice de France à l’OMS comme l’a fait Emmanuel Macron. Là ce fut une façon de mépriser les victimes du Covid et de renforcer cette irresponsabilité politique qui est une triste marque de fabrique française.
Pour l’heure, elle sera jugée par une juridiction principalement composée de parlementaires, lesquels devraient d’ailleurs également être compétents pour juger les errements de certains magistrats, en particulier ceux qui font de la politique dans les prétoires. Mais c’est une autre histoire…
Michel Taube