Au vu des dizaines de milliers de vus sur LinkedIn d’un simple post, en effet, Eric Zemmour impose les termes du débat présidentiel. Mais il a parfois bien tort.
« Je suis philosophiquement pour la peine de mort » confia donc cette semaine l’intellectuel à Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV, convaincu que la France commit une erreur en abolissant la peine capitale il y a quarante ans.
Il fut un temps où un autre candidat à la présidence de la République eut le courage de tenir les propos inverses : « Dans ma conscience profonde […], je suis contre la peine de mort. » Ce fut François Mitterrand en mars 1981 face à Alain Duhamel et Jean-Pierre Elkabbach. On connaît la suite.
Zemmour est donc pour la peine capitale. Quelle erreur ! Quarante ans donc après l’abolition de la peine de mort en France par François Mitterrand, et 14 ans après son inscription dans la Constitution par Jacques Chirac, Zemmour ignore que « couper un homme en deux » (pour reprendre la formule célèbre de Robert Badinter) n’est jamais dissuasif en termes de politique pénale… sans parler des principes philosophiques.
À chaque élection présidentielle, on trouve toujours au moins un candidat pour tenter de relancer le débat sur la peine de mort. Cette fois, c’est la vedette de la pré-campagne, Éric Zemmour, qui s’y est collé, certes en saisissant la perche tendue par Jean-Jacques Bourdin. Encore une fois Zemmour vole la vedette à Marine Le Pen.
L’honnêteté commande à rappeler que l’éditorialiste n’a pas annoncé qu’élu président, il commencerait par rétablir la peine de mort. « Il y a bien d’autres priorités avant », précisa-t-il.
Mais il y est donc philosophiquement favorable, tout en considérant que ce serait juridiquement une gageure. Et d’ajouter que la majorité des Français partage son point de vue, ce qui n’est pas faux : en septembre 2020, un sondage Ipsos/Sopra Steria pour Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne, révélait que 55 % de Français souhaiteraient le rétablissement de la peine de mort, soit 11 points de plus que l’année précédente.
C’est une constante du populisme de tous bords que de flatter le peuple, y compris ses bas instincts. La vox populi l’emporte donc sur les principes fondamentaux ? Le peuple veut la mort (des criminels) : qu’on la lui donne ! Le peuple veut la préférence nationale ? Que ses vœux soient exaucés. Le peuple veut congédier le président fraichement élu, grâce au RIC (référendum d’initiative populaire) révocatoire… ? Ah non ! Qui imagine Marine Le Pen, et plus encore Jean-Luc Mélenchon (Éric Zemmour n’est pas sur ce terrain) accepter pareil verdict. Ils évoqueraient la manipulation du peuple, la tricherie, l’atteinte aux institutions, le péril pour une France en prise à l’anarchie… Car ces populistes, au sens le plus péjoratif du terme, ne se soumettent à la volonté populaire que si elle sert leur dessein.
La peine de mort est un cérémonial barbare dont l’abolition est un progrès civilisationnel, un progrès de l’humanité. Un de ses critères majeurs avec l’égalité femmes – hommes.
Elle n’est jamais dissuasive : jamais on n’a vu un criminel préméditant son geste irréparable se dire : « ah je risque la peine de mort, je vais donc me retenir d’assassiner ».
Mais Éric Zemmour est honnête et considère que la France l’a déjà rétablie dans les faits : les éliminations ciblées de djihadistes en Syrie, en Irak sur décision de François Holllande ou au Sahel (cette semaine fut annoncée celle d’Adnan Abou Walid al-Sahraoui, chef de l’État islamique dans le Grand Sahara) sont, de son point de vue, une peine de mort qui ne dit son nom. On pourrait en dire autant de l’élimination en France de Khaled Kelkal en 1995, de celle de Mohammed Merah en 2012, ou plus récemment de Abdoullakh Anzorov, l’assassin de Samuel Paty. Tel fut aussi le sort des assassins du 13 novembre 2015. D’aucuns regretteront que Salah Abdeslam y ait échappé, son procès médiatisé étant une tribune pour la nouvelle star des territoires perdus de la République.
Éric Zemmour mélange tout et se trompe même si le djihad est une guerre à laquelle il est nécessaire de répondre avec des moyens relevant de la guerre, en France comme à l’étranger. L’élimination ciblée permet de frapper l’ennemi tout en limitant les dégâts collatéraux, ce qui est l’exact opposé du terrorisme qui vise à massacrer le plus d’innocents possible. Mais dès que l’on appréhende un de ces soldats islamistes, il ne peut être condamné à mort. Il doit être jugé en France, froidement, méthodiquement.
Les terroristes n’espèrent qu’une chose : mourir en martyrs, soit en se faisant exploser avec leurs victimes soit en étant exécutés par une justice vengeresse. Ne leur fournissons pas cette macabre « chance ». Nul n’a le droit de vie ou de mort sur autrui. Surtout pas l’Etat, dirait un libéral. Et l’Etat doit montrer l’exemple lui répondrait un croyant.
Même en temps de guerre (et nous sommes en guerre contre le terrorisme) la peine de mort est abolie en France : ce fut le sens profond de l’adoption d’un nouveau titre de la Constitution en février 2007 à l’initiative de Jacques Chirac.
La France fut un des derniers pays occidentaux à abolir la peine de mort en 1981. Pour l’heure, espérons que ce débat nauséabond est clos. Nous craignons le contraire. Il n’a pas sa place dans une campagne électorale, et ceux qui voudraient le raviver par clientélisme démagogique se déshonorent et se discréditent.
Michel Taube
Fondateur de la Journée mondiale contre la peine de mort qui a lieu tous les 10 octobre et d’Ensemble contre la peine de mort.