En face de l’Élysée, dans la toute nouvelle Ghost gallery, le Post-graffiti se pare des spectres qui hantent les acteurs majeurs de l’art contemporain. Le terme « Post-graffiti », inventé par Dolorès Neumann qui rassembla dès 1983 des œuvres du mouvement, transfère le street-art sur toile. La boutique-galerie qui accueille l’exposition, située boulevard du Faubourg Saint-Honoré, appartenait à Barbara Bui et fut le flagship de Versace. Passer de la haute couture à la culture urbaine peut sembler antinomique, mais certains Space Invaders s’y vendent jusqu’à 400 000 €, alors…
Des œuvres historiques
Si vous n’avez pas les moyens d’en accrocher un chez vous, vous pouvez toujours aller admirer les rares témoins historiques physiques des prémices d’une expression populaire débridée et conquérante, devenue globale et encore vivace. Ces œuvres réalisées par les graffeurs les plus actifs sur les murs et les trains au début des années 1980, à l’invitation des galeries new-yorkaises les plus pointues du moment (Sidney Janis, AnninaNosei, Tony Shafrazi), révèlent l’évolution de leur pratique dans l’intimité de l’atelier.
Qu’il s’agisse des toiles colorées et abstraites de Futura 2000 (très proche de Jean-Michel Basquiat), de Dondi White, l’un des pionniers du lettrage en tant qu’œuvre à revisiter ou de Lady Pink, ces artistes de rue sont devenus des légendes pour les jeunes citadins, mais aussi pour les collectionneurs. Concernant Lady Pink, on peut remarquer qu’elle est l’une des seules figures féminines du mouvement. Son tableau présenté à la Ghost Gallery jusqu’au 20 novembre est d’ailleurs saisissant d’expressivité sur les peurs urbaines et cadre bien avec le but de cette exposition : entrevoir les fantômes des artistes, ceux qui habitent leurs œuvres.
« Leur travail sur toile devient plus intime que dans la rue, et permet de révéler leur âme, leurs engagements politiques », explique Jérôme Pauchant qui dirige la galerie.
Ainsi, les ombres (Shadowman, 1985) noires et vibrantes de Richard Hambleton amplifient l’intensité de ces présences, à l’affût des dragons de Rammellzee (The Grimgriller, 1985) et peut-être gardiennes de la panthère noire de Lee Quinones (Black Panther, 1982), emblème de la lutte sociale des communautés afro-américaines.
« Il y a une notion documentaire dans cette exposition enchaîne Jérôme Pauchant, car le graffiti s’expose aux yeux de tous, mais reste éphémère, ici, il devient historique ». Les wholecars immortalisés par Henry Chalfant témoignent d’une frénésie de formes et de couleurs qui traverse notre paysage et qui jaillit dans l’œuvre sur toile de John Crash Matos, Massive A (1981) avec une personnalisation de son nom en une onomatopée explosive.
Des messages politiques
Ces toiles dépassent les codes et les générations en proposant de vrais messages sociétaux. Pour Jérôme Pauchant, « le graffiti symbolise pour la première fois une affirmation de l’ego individuel d’une énorme partie de la population mondiale, à une époque de transition économique et politique ». Dans les années 1980 New York City était dévastée par la crise du pétrole, Time Square était considéré comme le quartier rouge et le centre-ville de Manhattan était vide. Les artistes venaient du monde entier pour investir le pavé et les squats, comme ce fut le cas à Berlin dans les années 1990 après la chute du Mur. Cette concentration de sensibilités artistiques différentes a créé une formidable énergie et a vu émerger le pop-art qui critiquait le consumérisme, le tag souvent perçu comme du vandalisme ou le street-art avec ses constructions esthétiques propres. Certains osent une analogie avec les moines de l’époque médiévale et leur capacité à se rebeller à travers les enluminures. Nous observons là, en tout cas, une manière pour la population de se ressaisir de l’alphabet formaliste et donner libre cours à leur expression artistique. Une exposition essentielle pour comprendre les origines du mouvement et toute la beauté qui peut se cacher derrière le graffiti.
Infos pratique :
GHOST GALERIE présente son exposition inaugurale »Nos Fantômes »
A découvrir jusqu’au 20 novembre 2021
– 62, rue du Faubourg Saint-Honoré , 75008 PARIS –
Deborah Rudetzki