L’histoire romancée de la chambre des plus petits s’inscrit à la jonction de plusieurs histoires : celle de la culture, de l’Histoire, et celle de l’enfance à travers jouets, livres, matériel scolaire, images, mobilier, vêtements, bonbons, etc.
Les fictions situent les enfants dans leur vie, leur prêtant des aventures, des émotions, des sentiments, un rapport aux choses et aux êtres que les écrivains mettent en scène. Jusqu’en 1880, peu nombreux sont les auteurs qui se sont intéressés à l’environnement enfantin et notamment à leur chambre, à l’exception notable de la Comtesse de Ségur qui permet de mieux appréhender la chambre des bambins au XIXème siècle. Néanmoins, même là, ces chambres ne sont guère décrites : lieux pour dormir, elles sont dotées d’un ou plusieurs lits et d’armoire, mais on n’en sait pas tellement plus sur le mobilier ou la décoration.
L’univers ségurien, centré sur la famille, prend place le plus souvent dans des châteaux et s’inspire fortement du mode vie de la comtesse, qui est celui de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie dans leurs demeures de province. Il se situe sous le Second Empire, ses ouvrages étant publiés de 1855 à 1871.
La particularité de l’époque veut que la bonne — en fait la « nurse » — dorme parfois dans la même pièce que l’enfant qui lui est confié ou sa chambre communique a minima avec celle de l’enfant. Dans François le Bossu, on parle de « l’ancienne petite chambre de François donnant dans celle d’Isabelle ».
Il est aussi courant, dans l’univers des châtelains, que frères et sœurs ou cousins partagent la même chambre, quelquefois de façon provisoire. Ainsi, lorsque Sophie débarque chez les Fleurville dans Les Petites Filles modèles, le soir, « il fut décidé qu’elle coucherait dans la même chambre que Marguerite, et elle y dormit paisiblement jusqu’au lendemain ». De même, quand les cousins arrivent dans Les Vacances, on met dans la même chambre les deux frères, Léon et Jean de Rugis âgés de treize et douze ans, tandis que le petit cousin Jacques de Traypi, sept ans, a sa chambre pour lui seul.
L’ambiance est très différente dans les familles plus modestes. Dans l’appartement parisien de Mme Bonbeck dans Les Deux Nigauds, la bonne Prudence, les enfants Gargilier, Innocent et Simplicie, partagent la même chambre, qui n’a ni commode ni armoire.
Dans les habitations encore plus pauvres, comme celle de Jean dans Jean qui grogne et Jean qui rit, que sa maman, Hélène, envoie à Paris parce qu’elle ne peut plus le nourrir, il semble qu’il n’y ait qu’une grande salle où se trouvent le lit de la mère et celui de l’enfant. Et quand Jeannot son cousin vient dormir à la maison avant le départ du lendemain matin, il doit coucher dans le même lit que Jean.
Au-delà d’un descriptif nous permettant de connaître mieux l’environnement enfantin, la comtesse évoque les questions d’hygiène. Dans son traité sur La Santé des enfants datant de 1855, ses conseils tablent sur l’existence d’une chambre pour l’enfant dont il faut renouveler l’air trois fois par jour, afin d’éviter « que la chambre de l’enfant soit trop chauffée ». Et si l’enfant est malade, « changez l’enfant de chambre, ou tout au moins changez son lit de place ».
Comme quoi la Comtesse ne manquait pas de bon sens malgré son côté fleur bleue. Et si l’on peut se demander qui lit encore ses ouvrages aujourd’hui, sachez que plus de 20 000 exemplaires des Petites Filles Modèles sont tout de même vendus annuellement, car elle parle admirablement de la complexité du comportement des minots. Alors, ressortez vos Bibliothèques Roses et replongez-vous dans ces chambres enfantines où les mystères sont plus grands qu’il n’y paraît.
Deborah Rudetzki