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06H37 - mardi 12 octobre 2021

Cyberespace : la Troisième Guerre mondiale a commencé

 

 

À l’occasion du CMCS, Charente-Maritime Cyber-Sécurité, qui se tient à La Rochelle du 11 au 14 octobre et que l’on peut suivre en direct, Jérôme Poirot propose une analyse lucide des enjeux du cyberespace, nouveau « territoire » d’affrontement entre les nations.

 

Le grand public ignore l’essentiel des conflits de plus en plus haute intensité qui opposent la plupart des pays du monde. Parce que ces hostilités se déroulent dans le cyberespace, elles sont invisibles, mais s’apparentent de plus en plus à un état de guerre, jusqu’à présent sans issue.

Une guerre invisible

La célèbre formule de Raymond Aron, « Paix impossible, guerre improbable » a vécu. Le cyberespace a si radicalement modifié la nature des rapports entre les États que d’autres manières de penser les relations internationales et la conflictualité sont nécessaires. Car si la guerre n’a pas été déclarée, elle est pourtant à l’œuvre. Les puissances ont pour caractéristiques intrinsèques qu’elles sont amenées à s’affronter. Soit dans des guerres classiques, soit, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, par intermédiaires interposés, comme ce fut le cas durant la guerre froide. L’acquisition de l’arme nucléaire a en effet drastiquement réduit le risque d’un conflit armé conventionnel comme ceux qui ont prévalu durant des siècles.

Internet comme nouveau terrain d’affrontement

L’irruption de l’Internet, devenu cyberespace, a radicalement transformé les rapports de force entre États et a créé une situation nouvelle qui permet de mener des opérations de guerre invisibles. D’abord considéré comme un nouveau terrain de jeu pour les activités de renseignement en raison des facilités qu’offrait le cyberespace pour voler des secrets, il est devenu un théâtre de guerre. Plus encore, l’arme cyber est dorénavant une composante majeure des arsenaux de nombreux pays, les États-Unis, la Russie, la Chine, Israël, l’Iran, la Corée du Nord, et bien d’autres encore.

L’une des plus anciennes cyberattaques connues est celle qui a paralysé pendant plusieurs semaines les administrations et les banques estoniennes en 2007. La Russie, qui en serait à l’origine, aurait agi pour punir l’Estonie qui envisageait de déplacer la statue du Soldat de bronze, monument érigé à Tallin à la gloire des soldats soviétiques de la Seconde Guerre mondiale. C’est bien à un acte de guerre auquel s’est livré Moscou. Depuis cette époque, le cyberespace est le lieu permanent d’affrontements. Ce qui change radicalement par rapport à l’avant Internet est que les petits États, qui seraient incapables de faire la guerre, faute de ressources suffisantes ou qui seraient certains d’être gravement défaits, peuvent dorénavant livrer une lutte armée, y compris contre les grandes puissances. C’est-ce que font la Corée du Nord ou l’Iran, entre autres.

Le cyberespace permet de faire la guerre. Il permet également de la préparer. Plusieurs implantations de virus informatiques dans des réseaux d’énergie ont été détectées ces dernières années selon la presse. En 2018, dans des fermes éoliennes en France, offrant ainsi une porte d’entrée vers l’ensemble du réseau de distribution d’électricité. L’année suivante dans des centrales électriques et des gazoducs américains. Ces attaques peuvent avoir plusieurs objectifs : tester la capacité des pays qui en sont victimes à les détecter, et s’ils y parviennent, voir comment ils réagissent ; menacer, en cas de très fortes tensions, de paralyser des infrastructures vitales, c’est-à-dire exercer un chantage inédit ; paralyser ou même détruire ces mêmes infrastructures.

La nature des conflits transformée, les moyens de défense aussi

La guerre dans le cyberespace est à ce point une réalité que les États-Unis ont créé en 2010 un onzième commandement intégré, l’USCYBERCOM, dont le chef est parallèlement le directeur de la NSA, l’agence de renseignement technique américaine. Sa mission parle d’elle-même : l’USCYBERCOM « planifie, coordonne, intègre, synchronise et conduit des activités pour diriger les opérations et la défense de certains réseaux d’information du Département de la Défense, et prépare et, au besoin, conduit, tout le spectre d’opérations militaires du cyberespace dans le but de permettre des actions dans tous les domaines, assurer la liberté d’action des États-Unis et de leurs alliés dans le cyberespace, et le dénier à nos adversaires ». Bien d’autres pays, dont la France, ont élaboré une doctrine d’emploi de l’arme cyber, ce qui indique sans ambiguïté la nature des conflits qui se déroulent dans l’ombre.

La guerre dans le cyberespace a connu une telle escalade ces dernières années que le Président américain, lors de son entrevue avec son homologue russe le 16 juin dernier à Genève, lui a remis une liste de seize sites considérés comme intouchables et l’a menacé de représailles en cas de non-respect de sa mise en garde.

À ce jour, malgré des tentatives, notamment françaises, pour réguler l’emploi des nouvelles capacités militaires qu’offre le monde virtuel, le cyberespace demeure un Far West. La relative facilité avec laquelle une attaque peut être rendue anonyme, et par conséquent la difficulté à l’attribuer avec certitude à un assaillant, limite la place pour un droit international de la guerre dans le cyberespace.

 

Jérôme Poirot

Jérome Poirot est docteur de l’université Paris IV Sorbonne et ancien élève de l’ENA. Il a été conseiller du ministre de l’Économie et du ministre de la Justice, ainsi que, durant six ans, adjoint du coordonnateur national du renseignement à la Présidence de la République. Il est l’auteur du Dictionnaire du renseignement, Perrin, 2018, réédition Tempus 2020 (1.434 p.), de Renseignement et espionnage : au-delà des légendes, Plon, 2020 et de Le renseignement en 100 dates, Perrin, à paraître en 2021 et collabore à diverses revues.

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