La série pourrait être considérée comme un journal intime. Une expérience un peu folle. Ou une séance de psychanalyse. Au choix.
En 1979, l’artiste française Sophie Calle a mis dans son lit, très précisément du dimanche 1er avril, 17 h, au lundi 9 avril 1979 à 10 h 30 du matin, 28 personnes.
Premier travail de la photographe qui a ensuite acquis un statut international, Les Dormeurs a connu un énorme succès. De manière ininterrompue, amis, amis d’amis ou inconnus sont venus passer quelques minutes ou quelques heures à ronfler, dormir, parler dans le lit de Sophie Calle. Et lorsqu’ils pénètrent dans la chambre, les traces demeurent de la personne qui les a précédées.
Un travail qui a conquis l’acteur Fabrice Luchini
Qu’ils soient journalistes, apprentis boulangers pensant venir à une partouze, sa mère remplaçant de façon impromptue un dormeur absent, ou encore l’acteur Fabrice Luchini à peine sorti du tournage de Perceval d’Eric Rohmer, à la fois si drôle et déjà tellement insupportable, ils ont tous joué le jeu sous l’œil alerte de la photographe.
Même un chien qui accompagne un des dormeurs ou une baby-sitter surprise de devoir garder le lit plutôt qu’un enfant, engagée en dernière minute pour palier à une personne manquant à l’appel. Un seul mot d’ordre : combler le lit, l’habiter. Sophie Calle vient régulièrement appuyer sur la gâchette pour mitrailler les dormeurs de son flash. Dans leur sommeil, ils sont aussi sous surveillance sonore et leurs moindres paroles rentrent « dans la boîte ».
Un projet artistique souvent hermétique pour les participants
Enfin, un questionnaire fut remis à chacun, pour pénétrer un peu plus dans leur intimité. Nom, âge et profession. Un classique. Souhaite-t-il/elle des draps propres ? Se masturbe-t-il/elle ? Veut-il/elle de la musique ? On poursuit… pouvez-vous imaginer celui ou celle qui vous succèdera ? Regrettez-vous d’être venu(e) ? Sophie Calle recueille les propos bien que la plupart répondront « non » à la question : avez-vous l’impression de faire ou de participer à un projet artistique ?
Tout le travail de la photographe parisienne est centré sur les questions de la disparition, de la trace, du manque et de la peur du vide. Le vide du lit, qu’elle emplit de ses rencontres, des paroles reçues et des chuchotements glissés entre les draps.
Mi-voyeur, mi-philosophique, 100 % artistique, un très beau livre est venu clore l’expérience, à retrouver ici.
Deborah Rudetzki