Monsieur Rahman Mustafayev, vous êtes Ambassadeur d’Azerbaïdjan en France. Un an après la guerre qui a permis à l’Azerbaïdjan de récupérer le Karabakh, comment votre pays vit-il cette commémoration ?
Nous rendons hommage en premier lieu à ceux qui sont tombés pour la libération du Karabakh et pensons à ceux qui sont toujours portés disparus ou sont morts en captivité en Arménie pendant la première guerre. Je tiens justement à rappeler, que 3890 Azerbaïdjanais sont toujours portés disparus à la suite de la première guerre. Le moment est venu que l’Arménie respecte ses obligations en vertu du droit international humanitaire et prennent des mesures concrètes pour faire la lumière sur cette page sombre de son agression armée contre l’Azerbaïdjan.
Nous avons appelé la partie française à contribuer à l’établissement de la vérité sur ce problème et apporter son assistance pour faire la lumière sur le sort de milliers de personnes disparues en raison du conflit. Il est encourageant de noter, que Paris a exprimé son intention de nous aider dans ce sujet notamment par le biais de dons financier à l’Office du Comité International de la Croix Rouge en Azerbaïdjan.
Cette victoire a-t-elle permis d’atténuer une partie du traumatisme de 27 ans d’occupation arménienne, et de guerres et de drames vécus par les populations ?
Vous avez raison, la douleur et le traumatisme ont en partie diminué, et aujourd’hui toutes nos pensées sont tournées vers l’avenir des territoires libérés, vers l’avenir du Karabakh. Il y a un énorme travail à faire pour le retour des 750000 réfugiés azerbaidjanais dont les droits ont été violés pendant trente ans, pour que cette région devienne une zone de paix, de réconciliation et coopération.
Comment avez-vous trouvé la région à l’issue de la guerre ?
Après la libération des zones occupées, nous avons fait face à une vraie catastrophe. De nombreuses zones, des routes ont été minées. Les sols sont contaminés, les rivières polluées, les forets brulées, nos biens culturels, nos cimetières ont été détruits. Des villes et villages entières ont été rayé de la surface de la terre. Par conséquent, il faut bâtir villes et villages, relancer la vie dans les zones libérées en partant pratiquement de zéro, et c’est une tache gigantesque.
Mais le défi le plus important c’est le déminage. Les régions libérées demeurent infestées de mines terrestres et autres restes explosifs de guerre posées par l’Arménie pendant le conflit, ce qui constitue une menace imminente pour la population civile. Depuis novembre 2020 plus de 46.486 mines et munitions non explosées ont été déminées sur plus de 15.510 ha dans les territoires libérés. 160 citoyens azerbaïdjanais ont été tués ou blessés par des mines. A ce jour, l’Arménie a remis les cartes de mines des districts d’Aghdam, de Fuzouli et de Zanguilan, mais ces cartes ne sont exactes qu’à 25%.
Quelle est la situation de la reconstruction à l’heure actuelle dans le Karabakh ?
Un travail considérable a été réalisé au cours de l’année écoulée. Selon le programme d’investissement de l’état pour la période 2021-2024, il est envisagé l’investissement de 750 millions d’euro chaque année, à partir de 2022, dans des projets de reconstruction des territoires libérés. Pour l’année de 2021 il a été prévu 1.1 milliards d’euros. Le fonds de la « Renaissance du Karabakh » a été créé pour mener des travaux de construction, de reconstruction et d’aménagement dans les territoires libérés, ainsi que pour soutenir la sécurité de la vie quotidienne des populations, le développement des activités et la croissance durable du bien-être des peuples sur place.
Le plan-cadre de la ville d’Aghdam a été approuvé. De nombreux bâtiments culturels emblématiques et monuments historiques ont été restaurés dans la ville de Choucha. Les concepts de « smart city » et de « smart village » sont prévus pour les territoires libérés. Le premier de ces projets sera mis en œuvre dans le district de Zanguilan. La finalisation du projet est prévue en 2022.
De plus, le gouvernement de l’Azerbaïdjan a conclu un accord énergétique avec le producteur britannique de pétrole, BP, prévoyant la création d’une installation de production d’énergie solaire dans les territoires libérés. Cet accord s’inscrit dans la volonté de l’Azerbaïdjan de mettre en œuvre des projets d’énergie durable dans la région. En peu de temps, la construction de la sous-station de Fuzouli, ainsi que de la sous-station de Choucha, ont été achevées. Actuellement, 9 sous-stations sont en construction à Kelbadjar, Fuzouli, Djabraïl, Zanguilan, Goubadly, Aghdam et des lignes électriques de 110 kilovolts les relient.
Une feuille de route stratégique englobant les infrastructures ferroviaires, les routes et les autoroutes pour accroître l’intégration économique des pays de la région, en conformité avec la disposition de la Déclaration trilatérale visant à débloquer toutes les liaisons économiques et les transports dans la région, a été préparée.
L’aéroport de Fuzouli, le premier aéroport dans les territoires libérés de l’occupation, a déjà commencé ses premiers vols de test. Deux autres aéroports internationaux sont en cours de construction dans les régions de Zanguilan et de Latchine.
L’autoroute Akhmedbeyli-Fuzouli-Choucha, surnommée la « route de la victoire », sera bientôt terminée. La longueur de la route, qui comporte deux ou trois voies, sera de 101 kilomètres. Un tronçon de 92 km de cette route a déjà été bétonné et recouvert d’asphalte. Les fondations ont déjà été posées pour la construction des autoroutes Fuzouli-Hadroute, Zanguilan-Hadroute et Barda-Aghdam.
Une nouvelle route de 80 km est également en cours de construction afin d’éviter la ville de Latchine.
Nous n’oublions pas non plus le grand potentiel touristique du Karabakh. L’Agence d’Etat du Tourisme élabore actuellement une stratégie et une politique de développement du tourisme dans les territoires libérés. Plusieurs sites touristiques peuvent être créés et attirer de nombreux touristes chaque année.
Quelles sont les relations et les perspectives de paix avec l’Arménie ?
La guerre est désormais terminée, il n’y a plus de combat ou d’hostilité et la paix établie tient. La déclaration tripartite entre la Russie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan du 10 Novembre 2020 a permis de mettre un terme au conflit. Sur le plan juridique, le conflit est résolu par les moyens politico-militaires dans le droit international, car la disposition principale des résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU de 1993 – le retrait des forces armées arméniennes des territoires occupés d’Azerbaïdjan- a été enfin appliquée. Après le temps de la guerre nous sommes entrés dans un autre temps, celui de la construction de la paix, de la réconciliation et de la reconstruction de la région.
Le conflit est certes résolu, mais il y a encore de nombreuses questions et des problèmes d’après conflit restent toujours en suspens. Le plus important d’entre eux est la question du traité de paix entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. La guerre est finie, mais les deux pays n’ont toujours pas de relations diplomatiques. Il faut parvenir à un traité de paix pour opérer une véritable politique de sécurité et de coopération dans la région. Cet accord doit être fondé sur les principes du respect mutuel, de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’inviolabilité des frontières internationalement reconnues. Jusqu’à présent, malheureusement, nous n’avons pas reçu de réponse de l’Arménie à notre proposition.
Pour surmonter toutes ces obstacles de la phase après-conflit, il faut aussi espérer une attitude responsable de la communauté internationale et des acteurs internationaux. Il faut qu’ils s’adaptent à cette nouvelle réalité dans notre région et agissent désormais en conséquence.
Propos recueillis par Claudie Holzach