Edito
06H30 - vendredi 15 octobre 2021

Les lois du marché. L’édito de Michel Taube

 

 

Les lois du marché priment souvent sur celles du législateur, et le capitalisme s’est accommodé de toutes les idéologies : le communisme n’a jamais été qu’un capitalisme d’État, plus violent, plus absurde, plus injuste que le capitalisme libéral. La Chine le prouve tous les jours. Quant à l’islam politique, dans lequel l’extrême gauche voit un ennemi de capitalisme et donc un allié pour elle-même, des villes comme Dubaï (Émirats arabes unis), Doha (Qatar) ou même Riyad (Arabie saoudite) illustrent l’absurdité de cette analyse.

Pourtant, la toute-puissance du marché est un poison mortel. Peut-on même évoquer les « lois du marché » ? Le marché déteste la loi, la réglementation. Pour les ultra-libéraux, le marché porte en lui-même tous les ingrédients de l’autorégulation. Ce n’est pas cela, le libéralisme, du moins ce ne devrait pas l’être. La liberté absolue ne peut que conduire à l’écrasement du faible par le fort. Elle est une forme d’anarchie conduisant au chaos, d’où ne peut qu’émerger un régime autoritaire. La liberté débridée, celle que réclame le marché, est celle d’une minorité, principalement des multinationales plus puissantes que de nombreux États, d’imposer leurs lois, non plus celle du marché, mais bien les leurs. Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, les fameux GAFAM, mais également des géants d’autres secteurs comme dans l’énergie, semblent échapper au contrôle des gouvernements, donc des peuples en démocratie, que ce soit sur le terrain de la fiscalité, du droit ou de la morale. Ce n’est pas acceptable, c’est nuisible à la saine économie de marché et en définitive à la grande majorité des entreprises qui assurent des emplois et donc une vie décente à la population.

Le marché débridé se réjouit de la fonte de la banquise, car elle libère une nouvelle voie maritime pour le transport de marchandises, en particulier le pétrole dont il faut pourtant se défaire, se désintoxiquer. Mais la réponse écologique ne pourra être le retour à la barque ni à la charrette. La décroissance est un mythe comme l’est le marché autorégulateur. Il faudra construire une nouvelle économie dépolluée et décarbonée. Est-ce possible ? Est-ce un nouveau mythe ? C’est impératif, pour la survie de l’humanité.

Schématiquement, le libéralisme et le capitalisme sont les meilleurs outils pour que le gâteau soit le plus grand possible. Pas besoin d’une idéologie trop dogmatique pour nourrir une distribution la plus équitable possible de ce gâteau. L’art de gouverner et de légiférer est d’éviter que la redistribution ne nuise trop à la croissance, que la régulation et la fiscalité ne découragent pas les initiatives, que le partage du gâteau ne conduise pas à en réduire la taille. Mais il est désormais aussi de prendre acte de ce que les ressources en farine, en sucre et autres ingrédients du gâteau ne sont pas inépuisables. Nous devons tous être écologistes, dans notre manière de faire vivre l’économie, de consommer, de nous comporter en société. Nous ne pouvons plus laisser la gauche et plus encore l’extrême gauche confisquer l’écologie, comme c’est actuellement le cas en France.

Le marché a horreur du vide. Il va aussi loin qu’on le lui permet. Les États-Unis, que ce soit sous Donald Trump ou sous Joe Biden, ont pris des initiatives, principalement de nature fiscale, visant à mieux le contrôler. L’impôt mondial sur les GAFAM et autres mastodontes, voulu par Joe Biden, ne les empêchera pas de prospérer et d’enrichir leurs actionnaires. Même au niveau des individus, des fortunes de plusieurs dizaines voire centaines de milliards d’euros n’ont ni sens ni légitimité. Mais la France ne peut instaurer seule une justice fiscale et sociale, et une régulation des marchés, sans en payer un prix insupportable : la fuite des capitaux et des cerveaux, et l’appauvrissement des entreprises et de la population. Nous ne sommes pas les États-Unis. Mais nous sommes l’Europe, première puissance économique du monde. L’Europe peut agir et se faire respecter si elle est unie, là où cela fait sens de l’être. Sa reconstruction est un autre défi qu’il est indispensable de relever, face aux périls environnementaux, économiques, géopolitiques et sanitaires. 

Le politique doit reprendre le contrôle, car en démocratie, il en a la légitimité et le devoir. Contrôler et réguler ne signifie pas entraver le marché. Lui-même ne se résumerait pour l’essentiel qu’à des méga entreprises multinationales ne laissant aucune place au PME et TPE. La raison du plus fort, encore…

La politique, c’est aussi l’art de distinguer le possible du souhaitable, sans que cette équation devienne elle-même un dogme. Les idéalistes ne savent faire cette distinction. Les dogmatiques ne veulent pas la faire. Pire, leur « souhaitable » est si irréaliste qu’ils sont prêts à tout pour l’imposer. La dictature est dans leurs germes. Si impossible n’est pas français, le monde entier n’est pas davantage français. La France ne représente pas même 1 % de la population mondiale. Dans un environnement largement globalisé (ou mondialisé), où le marché règne en maître, on ne peut faire fi de son environnement. L’audace est un impératif. Le progressisme dogmatique que l’on nous vend depuis plusieurs décennies n’est ni de l’audace, ni même du progrès. C’est du changement pour le changement dicté par des convictions perverties comme le multiculturalisme ou la tyrannie des minorités. S’y opposer n’est pas du conservatisme, mais de la sauvegarde d’un modèle né de siècles d’Histoire, d’un modèle civilisationnel.

 

Espérons que les candidats à l’élection présidentielle sauront faire entendre cette voix et cette voie de la raison. Humaniser le capitalisme est notre seul sacerdoce crédible.

 

Michel Taube

Directeur de la publication