Huit mois après la 8e et dernière session de la Convention citoyenne pour le climat, le bilan de cet exercice de participation citoyenne n’est toujours pas dressé. La méthode pour passer de l’intention à l’engagement, des propositions à l’action, reste à trouver.
Emmanuel Macron intervenait en janvier dernier au Conseil économique social et environnemental (CESE) devant cent cinquante Français tirés au sort parmi 250 000 noms pour participer à la Convention citoyenne sur le climat. Grégoire, 31 ans, est l’un d’entre eux ; autrefois très loin des questions d’écologie, il a changé ses habitudes de vie après avoir participé.
Un SMS lui a notifié sa sélection alors qu’il n’a pas la moindre idée de la nouvelle initiative lancée par le président de la République à l’issue du Grand débat consécutif aux manifestations des gilets jaunes. Après une rapide recherche sur Internet, ce secrétaire d’une fédération d’aide à la recherche d’emploi accepte l’opportunité, « plus par civisme que par intérêt pour la cause climatique ». Ayant peu d’appétence pour le sujet, Grégoire s’engage pourtant aux côtés de 149 autres citoyens eux aussi tirés au sort. Ensemble, ils doivent en sept sessions d’octobre à avril (une huitième sera finalement ajoutée), proposer une série de mesures permettant de réaliser la transition écologique. Les propositions seront prises en compte, a promis le chef de l’Etat !
Les enseignements : du tirage au sort aux désillusions
L’expérience fut jugée aussi enrichissante par certains, que critiquée par d’autres… Comment remédier à ce que l’historien belge, expert en démocratie directe, David Van Reybrouck, appelle avec finesse, un « syndrome de fatigue démocratique » ? Lequel ne semble, certes, pas propre à la France !
La démocratie représentative apparaissant de plus en plus contestée et de fait bien affaiblie – à tout le moins dans ce que le débat public a laissé transparaître -, l’expérimentation d’un exercice de démocratie délibérative, au travers de l’organisation d’une convention citoyenne sur le climat, était novateur. Composée de citoyens tirés au sort, donc censés représenter l’ensemble de la population, cela pouvait assurément être une piste. L’objectif étant de déboucher sur des propositions, sur la base des connaissances propres des participants, mais surtout des éléments d’information fournis, et commentés avec des « garants » et des experts.
Le panel pouvait ainsi s’approprier un sujet que les Français placent parmi leurs premières préoccupations, le discuter, trouver des accords. Il devait, selon le président Macron, formuler des propositions qui seraient « adressées, sans filtre au Parlement suivies, d’un référendum ou d’’une application réglementaire directe… ». Cela apparaissait séduisant et constructif. Cette promesse a fait naître des espoirs. Mais elle a bientôt suscité l’incompréhension, lorsque in fine Emmanuel Macron a indiqué faire usage de « son joker » pour récuser trois des propositions, dont l’article 1 réclamait une inscription dans la Constitution.
Cela a conduit à aussitôt décrédibiliser l’exercice : à quoi bon tout cela ? Et conforter l’idée que les politiques ne disent pas la vérité, ne tiennent pas leur parole ; « la parole donnée n’engage que ceux qui l’écoutent », cette phrase mortelle de Charles Pasqua, reprise par Jacques Chirac.
C’était sans compter également sur le fait que les Français s’avèrent les européens les plus critiques à l’égard de leurs dirigeants.
Critiques : coût et méthode
Les réactions les plus virulentes furent celles des participants eux-mêmes ; mais aussi le fait d’associations, de médias, de nombreux élus s’estimant déresponsabilisés et, plus largement, de tous les opposants…
Les réserves ont aussi porté sur la réforme du CESE. Quid de la composition de cette « Chambre des conventions citoyennes », de sa nouvelle représentativité que la loi organique n°2021-27 du 15 janvier 2021 entend lui conférer ? Quid des 150 000 réclamations permettant d’émettre une pétition ?
A contrario, d’autres approuvaient cette nouvelle mission de « carrefour des consultations » qui devrait être attribuée au CESE. Devenus les ambassadeurs hyperactifs des propositions qui ont passé les premiers filtres, ils gardent l’espoir qu’il y aura suivi et transformation des propositions.
Dans le « à quoi bon ? » certains ont, par ailleurs, pointé le fait que cet exercice a coûté 5,4 millions d’euros. Les cent cinquante citoyens tirés au sort qui ont accepté cette mission ont touché 1 462 euros d’indemnité chacun… Une « paille » à côté des sommes consacrées aux débats de la Commission nationale des débats publics (CNDP). Depuis sa création en 1996, il y a vingt cinq ans, cent-quatre débats ont été organisés.
Par exemple, le projet relatif au nœud ferroviaire Lyonnais, dont le coût estimé se situe entre 2,8 et 4,3 milliards d’euros HT, selon que le scénario est en surface ou en souterrain, le budget du débat public pris en charge par le maître d’ouvrage était estimé à près de 1,2 million d’euros TTC et la part incombant à la CNDP à près de 85 000 euros TTC… Pour le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR – novembre 2019) le coût du débat pris en charge par le maître d’ouvrage serait de 1,7 million d’euros TTC, le coût du débat pris en charge par la CNDP de moins de 90 000 euros TTC ; autre exemple : le projet d’éolien maritime au large de la Normandie avait, quant à lui, un coût estimé de 3 à 4 milliards d’euros HT… Chantal Jouanno Présidente du CNDP en présentant le 19 octobre 2020 le bilan soulignait qu’après dix ans de débats publics sur des projets de parcs éoliens en mer, et douze procédures participatives, un certain nombre de questions restaient toujours sans réponses de la part des pouvoirs publics.
Attentes immédiates et décisions de long terme
Il convient de le regretter, rares sont les participants à la Convention sur le climat qui, interviewés, ont exprimé les profits durables qu’ils ont tiré de cette expérience, au-delà d’une connaissance approfondie permettant de creuser et valider la pertinence de leurs propos. Qui ont pu faire part de leurs intentions d’élargir les voies ouvertes, de contribuer à faire évoluer les propositions de la Convention.
Quelques émissions de radio s’en sont pourtant fait l’écho. Radio France, le 28 mars 2021, par exemple commence par résumer un rendez-vous que beaucoup auront hâtivement qualifié de manqué par : « le 21 juin 2020, quand tous les acteurs de la Convention applaudissent l’adoption du rapport qui liste l’ensemble des propositions visant à lutter contre le réchauffement climatique, c’est eux-mêmes qu’ils applaudissent » Simple Cocorico ? Feu de paille ou enthousiasme durable ?
La conclusion de l’émission sera toutefois plus constructive. Ce qui est « intéressant », souligne l’un des interviewés, c’est la volonté de persévérer, de s’engager, notamment en se présentant aux élections régionales, comme l’ont fait quelques-uns des cent cinquante participants. De plus, Thierry Pech, co-président du comité de gouvernance de la Convention, nous indique que l’OCDE voit fleurir ici et là plus d’une vingtaine de projets similaires, en Irlande, en Allemagne, au Canada, en Ecosse, Pologne, Espagne ou Grande Bretagne…
L’expérience des uns peut être utile à tous. Si les enseignements, l’articulation des différentes initiatives, leur déclinaison de proximité, à l’instar des débats de la CNDP, doivent être écoutés et pris en compte, soyons aussi attentifs à la conclusion du séminaire de France Stratégie du 13 octobre 2021 consacré aux « Politiques publiques de l’espace sous le prisme des soutenabilités » elle a sonné comme une sentence : « Il est temps de rendre pertinent et performant ce qui existe déjà ».
Nous sommes dans des dynamiques de temps long, tandis que les attentes spontanées sont mouvantes et impatientes… La nécessité de travailler sur la connaissance des sujets, la coordination, la transparence, n’excluent pas l’imagination. L’objectif d’établir des chaînes de compétences, qui ne fonctionnent pas à sens unique dans « une démocratie diplômée *» requière en tout cas très sûrement des efforts de cohérence et ; surtout ; de regagner ainsi la confiance des citoyens.
Peut-on le faire sans les corps intermédiaires ?
Aude de Chavagnac, Olivier Peraldi
Membres de l’Institut Chiffres & Citoyenneté
* David Van Reybrouck, auteur de Contre les élections, 2013. Partisan d’une démocratie par tirage au sort a lancé en 2011, le G1000 : un millier de Belges des deux communautés linguistiques principales, à la recherche d’une meilleure organisation de la démocratie dans le pays.
« L’Institut Chiffres & Citoyenneté », libre de toute option politique, syndicale et confessionnelle, centré exclusivement sur l’intérêt général, s’inscrit dans une démarche de recherche, d’analyse et de diffusion de travaux portant sur des sujets sociétaux, économiques et citoyens. Il participe aux débats publics et à la vulgarisation des enjeux économiques et sociaux ; Il rassemble des personnalités de tous horizons socio-professionnels. Ces femmes et hommes bénévoles, de bonne volonté, respectueux des valeurs républicaines et soucieux de sauvegarder, renforcer et développer l’esprit démocratique par la confrontation d’idées et la liberté de pensée, souhaitent ainsi s’engager en faveur du débat public. Ses forces : confiance mutuelle, indépendance et sens du partage. Ses modes d’expression : publications, livre, articles, interventions, tables rondes… (exemple récent : le 5ème risque) voir Cf site.