paru le 6 Nov 2021
Le prix du carburant est de retour dans le débat politique de cette fin d’année. L’équation économique et social est à haut risque. Attention étincelle !
Le spectre du mouvement des gilets jaunes plane sur cette rentrée sociale. A l’automne 2018, l’appel à l’occupation des ronds-points avait suivi la hausse des prix des carburants. L’essence SP95 coûtait 1,56 € en octobre 2018, en augmentation de 20 % sur un an. L’annonce de la « taxe carbone » ne fut que l’étincelle qui mit le feu à une exaspération latente relative au pouvoir d’achat, au sentiment de déclassement des classes moyennes et d’abandon dans les zones rurales.
Certes, les actifs en zone rural consacrent une part importante de leur budget en frais de voiture, et une augmentation du prix des carburants peut bousculer le fragile équilibre de leurs fins de mois. C’est plus d’ailleurs la volatilité de cette dépense qui pose un problème. Le logement est un poste de plus en plus lourd dans les budgets mais la hausse plus régulière suscite moins d’émotion.
S’ajoute à ces difficultés objectives, un ressentiment que c’est encore l’Etat qui vous « fait les poches » au nom d’arguments fallacieux tels que l’écologie en 2018. En effet, la taxe sur les carburants, plus connue sous l’acronyme abscond de TICPE, et la TVA pèsent 58 % du prix de l’essence. Les recettes de la TICPE sont, avec 37 milliards d’euros, la quatrième recette de l’Etat.
Qui paye les routes ?
Il est rarement fait le rapprochement entre ces taxes et la dépense publique pour la construction et l’entretien des routes gratuites nationales, départementales et communales (hors autoroutes payantes). Dans le compte satellite des transports, l’Insee évalue à 28 milliards d’euros son coût : 12,5 milliards pour l’entretien des routes, 8,4 milliards de nouveaux investissements, 1,5 milliard d’intérêts des emprunts, mais aussi 2,5 milliards pour le coût de la régulation des flux (police et gendarmerie) selon la dernière estimation.
Serait-il juste que le coût de la route soit assumé par les contribuables qui n’ont pas de voiture ou roulent très peu ? Malgré le principe de non-affectation des ressources fiscales, ce sont les utilisateurs des routes (hors autoroutes) qui doivent en assumer le coût en fonction de leur utilisation. Calculée sur le litre de carburant, la TICPE est proportionnelle au kilométrage parcouru.
Payer pour les infrastructures était aussi l’esprit des péages pour les camions sur les quatre voies gratuites qui avaient suscité en 2013 le mouvement des bonnets rouge en Bretagne, puis le démontage des portiques. L’usage des chaussées devrait- il être gratuit ? La TICPE contribue également à hauteur de 5,5 milliards au financement du RSA. L’Etat qui s’en mets « plein les poches » est une vision populiste de la fiscalité.
La TICPE flottante : une idée oubliée ?
Par crainte de rallumer la fronde, le gouvernement vient de prendre une mesure forte, lisible, et simple de conception (certes moins dans sa mise en œuvre) : le chèque de 100 €, rebaptisée « indemnisation inflation » pour les revenus inférieurs à 2 000 €.
A six mois de l’élection Présidentielle, le gouvernement estime opportun de donner un coup de pouce à ceux dont le pouvoir d’achat a baissé consécutivement à une économie au ralentie depuis mars 2020. Cette baisse aurait été pire en l’absence du soutien massif à l’économie durant la période du COVID.
Cette mesure de court terme ne résout pas la question de la volatilité du prix des carburants, liée au marché mondial du pétrole sur lequel la France n’a aucune prise. Quand le prix diminue, personne de s’en émeut quand il augmente rapidement, il devient un sujet politique.
Le rôle d’un Etat stratège serait de stabiliser dans le temps le prix de l’essence. Il dispose de l’outil nécessaire pour le faire : jouer sur les taxes TICPE et TVA. Cela avait été tenté entre 2000 et 2002 avec la TIPP flottante. Quand le prix du baril augmente, on baisse les taxes et, inversement, quand le coût du pétrole baisse. Le prix de l’essence reste donc stable. Techniquement, cela est encore plus simple, puisque ce sont les groupes distributeurs des carburants qui les payent à l’Etat.
Les réticences viennent de Bercy qui s’inquiète d’une baisse imprévue des recettes fiscales. Il suffit pourtant de créer au bon moment une caisse d’amortissement encaissant la TIIP quand le prix du baril est faible, et décaissant dans le cas inverse. Cela demande certes une capacité d’anticipation, mais cela vaudrait mieux que de distribuer 3,8 milliards par une augmentation de la dette, que nous laisserons à la charge des générations à venir.
François Jeger
Co-fondateur de l’Institut Chiffres & Citoyenneté