Valeur compliance
11H43 - lundi 15 novembre 2021

Moussa Mara : « la lutte contre le terrorisme au Mali se gagnera de l’intérieur »

 

Opinion Internationale : Moussa Mara, vous êtes ancien premier ministre du Mali, député et président du parti Yéméla. Quel est l’état des lieux de la situation actuelle au Mali?

Moussa Mara : c’est un pays plongé dans une crise profonde, la plus profonde de son histoire. Il faut savoir que c’est une crise multidimensionnelle, avec un aspect sécuritaire très important.

Nous pouvons constater la présence de groupes armés rebelles qui persistent sur une partie du territoire malien, mais aussi des groupes terroristes armés qui ont une volonté de conquête, non seulement du territoire malien, mais aussi de l’ensemble du territoire ouest-africain. Enfin, nous trouvons également du banditisme résiduel, des trafiquants de drogue. Ce cocktail fait que sur le plan sécuritaire, la situation est très précaire.

Par ailleurs, d’un point de vue socio-politique, depuis une dizaine d’années, le régime institutionnel est très fragile et le système politique est très décomposé et rejeté par la population. Il y a une profonde défiance de la base vis-à-vis des élites.

Le contexte est celui d’un pays pauvre sahélien, fortement impacté par le changement climatique, avec des ressources naturelles qui se raréfient et un contexte démographique particulièrement dynamique, ce qui est une source de tension aujourd’hui et pour demain et après-demain.

C’est donc un contexte très volatile, fragile avec un tissu social et des dysfonctionnements étatiques profonds. Le tableau est sombre, mais réel. 

Comment se financent les groupes terroristes? Les donateurs sont-ils des pays ou de riches particuliers?

Nous n’avons aucune preuve que des pays soient derrière les groupes terroristes. Il existe différentes typologies de groupes terroristes au Mali.

Tout d’abord, nous pouvons trouver des franchises d’organisations internationales, comme l’État islamique ou Al-Qaeda, qui sont financées, d’un point de vue « monétaire », mais aussi en termes de capacités, de compétences, de logistique par la « maison-mère ».

Deuxièmement, nous avons des groupes qui se financent de toute sorte de trafics. Il faut savoir que la zone sahélienne est une zone très vaste avec une faible empreinte étatique. Les grands couloirs de trafics (biens de consommation, bien d’équipement, d’êtres humains et plus récemment, trafic de drogue et d’armes) se sont développés il y a une dizaine d’années.

En outre, quelques zones minières existent au Mali, dans lesquelles les groupes terroristes étendent leur contrôle et prélèvent des ressources sur ces activités.

Pour finir, les groupes terroristes prélèvent de l’argent sur les populations.

Quelle est votre vision des Accords d’Alger?

L’accord d’Alger a été négocié dans un cadre international avec des acteurs internationaux importants (Algérie, États-Unis, CEDEO, UA, UE dont la France et l’Allemagne). C’est un document de réforme sur le fonctionnement de l’État malien et ses capacités à rendre des services utiles à la population.

Cependant, comme tout accord, il a des insuffisances.

Tout d’abord, il part sur un postulat ethnique qui n’a jamais été une réalité au Mali. Il n’y a pas, contrairement à ce que dit le texte, plus de blancs au Nord que de noirs. Deuxièmement, il n’est pas exact d’affirmer que la population blanche a du poids sur la population noire.

La crise malienne actuelle n’est pas une question ethnique, mais plutôt de gouvernance, de fonctionnement ou plutôt de dysfonctionnement.

Quelles sont les solutions face au terrorisme? Créer un partenariat avec Israël, pays expert dans la lutte contre le financement du terrorisme, pourrait-il être utile?

De nombreux partenariats internationaux existent déjà.

Il faudrait plutôt mettre l’accent sur les capacités intrinsèques des États, à travers une plus grande mobilisation des citoyens, une gouvernance plus responsable, plus honnête et plus visionnaire, un fonctionnement politique qui puisse davantage satisfaire les populations.

La lutte contre le terrorisme ne se fera pas de l’extérieur, mais de l’intérieur. L’histoire nous l’a montrée dernièrement.

En effet, les partenaires extérieurs, aussi puissants et nombreux qu’ils puissent être, ne peuvent être que des appoints. Dans le cas contraire, si ces partenariats cessent, le pays s’écroulera comme cela a été le cas en Afghanistan. 

Il faut donc mettre l’accent sur les capacités internes qui n’ont, pour le moment, pas été suffisamment mobilisées et qui restent à disposition des dirigeants maliens, à condition que ces derniers soient plus à l’écoute de la population, plus honnêtes et plus efficaces.

Quel est le lien entre la crise climatique et le terrorisme au Mali?

Comme dit précédemment, la crise climatique a un impact sur le fonctionnement étatique et sur les dysfonctionnements de l’État. Elle accroit les tensions entre les populations, confrontées à la raréfaction des ressources naturelles, et ouvre des perspectives de conflits locaux qui nourrissent le terrorisme. Nous savons tous que le terrorisme a un terreau, à savoir les problèmes de tissu social, de tensions entre communautés.

La fin du terrorisme au Mali se fera, selon vous, sur le court, moyen ou long terme?

La fin du terrorisme se fera sur le moyen terme. Sur le court terme, je ne le pense pas. En effet il faut sortir de la transition et inscrire le pays dans une stratégie institutionnelle et politique normale avec des réformes de qualité pour répondre aux attentes de la population.

Comme dit précédemment, la lutte contre le financement du terrorisme n’est pas seulement militaire, mais aussi administrative, économique, sociale, institutionnelle.

Il faut travailler sur tous ces éléments.

Propos recueillis par Yani Hadar

Chef de rubrique « compliance », chroniqueur Opinion Internationale