La semaine dernière, notre saga du lit nous avait conduits jusqu’au berceau du tout petit. Plus précisément, notre attention s’était portée sur les berceuses, dont les vertus ne sont pas identiques selon qu’elles soient chantonnées par les parents ou par… YouTube. Aujourd’hui, imaginons que bébé ait pris quelques (petites) années, et qu’il ait donc troqué son berceau pour un lit ressemblant davantage à sa future couche d’adulte.
Nous ne devons pas être très nombreux à nous souvenir de nos rêves d’enfant, ni même de nos frayeurs nocturnes, éveillées ou cauchemardesques, parfois attisées par des contes de fées dans lesquels n’évoluent pas que des fées. Le loup, le méchant, le monstre ne se cache-t-il pas sous le lit ? Ou dans le placard ? Et que sont alors tentés de faire les enfants effrayés par leur imaginaire ? Se réfugier dans le lit de leurs parents, une pratique appelée « cododo ».
Dans son livre, « Élever mon enfant aujourd’hui » (éditions Robert Laffont), la célèbre pédiatre Edwige Antier explique que parmi les parents qui la consultent et qui ont un enfant de un à trois ans, 80 % accueillent leur progéniture dans leur lit à la faveur d’une peur nocturne. Les pédopsychologues n’y voient généralement pas d’inconvénient, tant que la pratique reste exceptionnelle et que l’enfant est porté dans son propre lit après son endormissement. En outre, elle ne saurait perdurer au-delà des 7 ou 8 ans de l’enfant, sous peine de compromettre son équilibre affectif et nuire à la confiance en lui-même qu’il devra acquérir pour devenir un adulte épanoui. C’est un peu comme si on refusait de couper le cordon ombilical. Néanmoins, des institutions internationales comme l’OMS ou l’UNICEF recommandent le cododo jusqu’aux six mois de l’enfant.
Trop souvent, les parents acceptent cette faveur par facilité ou découragement, si l’enfant peine à s’endormir ou multiplie les caprices à l’heure du dodo. Certains parents vont jusqu’à s’endormir et laisser l’enfant passer la nuit avec eux. Il advient aussi que des parents séparés s’adonnent à cette pratique, au risque d’inverser les rôles, l’enfant devenant un soutien psychologique du parent.
Souvent, des enfants uniques qui souffrent de solitude, préfèrent pendant des années dormir près de leurs parents. La peur du noir et d’être seul explique ce phénomène assez répandu dans le monde.
Cette conception du « à chacun son lit » n’est pas universelle, tant s’en faut. Au Japon, 71 % des enfants de moins de 3 ans dorment avec leurs parents, ce qui semble être un record. Ailleurs, notamment en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud et dans une grande partie de l’Europe, le cododo est très répandu, lorsqu’il n’est pas la norme, jusqu’à la première année de l’enfant. Voire bien plus longtemps.
Ce serait même la France qui ferait exception, en systématisant la chambre séparée de bébé dès ses premiers pas dans la vie (et la nuit). Les habitudes hexagonales seraient même contraires à notre programmation génétique, forgée depuis l’apparition de l’Homme sur terre, qui a lui-même repris en cette matière les pratiques des animaux : le petit dort près de sa mère protectrice, afin de sentir sa présence, son corps, son odeur, et ainsi se sentir en sécurité.
Notons qu’il existe des berceaux avec un côté ouvert, prévus pour se caler contre le lit parental. Peut-être le juste compromis ?
Faut-il rechercher dans notre peu de goût pour le cododo l’explication à l’individualisme forcené des Français ? Cette exégèse psychopolitique est sans doute quelque peu osée ou hâtive. Il est en revanche incontestable que nous sommes l’exception, et qu’installer bébé dans sa propre chambre dès son arrivée de la maternité nous vaut l’étonnement voire la réprobation de la plupart des autres terriens. Si on y ajoute la tablette ou la télé connectée avec les berceuses sur YouTube, il ne faudra pas s’étonner que les Français soient aussi champions du monde de la consommation de neuroleptiques !
Allez, bon cododo mon petit. Le temps viendra où tu prendras ton envol nocturne. Tu apprécieras alors d’autant plus ton propre lit, rien qu’à toi, où personne n’osera se glisser sans ton consentement.
Michel Taube