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06H59 - vendredi 19 novembre 2021

De l’importance des transferts d’argent privés pour nos économies à travers le monde

 

La semaine dernière, la scène médiatique (et politique) s’enflammait à la suite des propos de Monsieur Arnaud Montebourg concernant les transferts d’argent privés. Le débat a vite été ramené sur la corde raide électorale gauche/droite, en prévision de la course à l’élection présidentielle de l’année prochaine. Monsieur Montebourg dans ses propos évoquait l’idée de bloquer les transferts d’argent passant par Western Union, à destination de pays refusant de rapatrier leurs ressortissants expulsés de France. Une idée qui, selon les propos du politique, visait à punir les pays plus que les individus et qui n’est pas sans nous rappeler un débat similaire aux États-Unis en 2016 entre Donald Trump et Barack Obama. Bien que cette idée pose plusieurs questions d’ordre moral d’abord, fondamentale ensuite (libre circulation des capitaux, droit de propriété…) et réalisable enfin, cela a permis toutefois de rappeler l’importance des transferts d’argent pour nos économies.  Il est vrai qu’aujourd’hui, le sujet des transferts privés est souvent ramené à celui de l’immigration, toutefois la place de ce débat ne concernerait-elle pas davantage le rôle de ces transferts pour les économies, tout particulièrement en période de crise sanitaire ? Car on le sait, ces transferts d’argent figurent bien souvent comme une part plus conséquente que celle de l’aide au développement pour les pays à revenus faibles. De nombreuses famille d’immigrés à travers le monde en ont l’utilité pour des besoins de première nécessité.

Il y a quelques mois, chez MoneyTransfers.com, en tant que comparateur de prestataires de transferts d’argent, nous nous sommes pliés à un exercice de comparaison qui nous semblait intéressant. En reprenant les données de la banque mondiale sur ces transferts dans le monde, nous avons souhaité observer la corrélation entre le PIB d’un pays et les envois de fonds qu’il reçoit. Mais d’abord, retour sur l’impact du COVID sur la courbe de progression des transferts d’argent à travers le monde.

En 2019, l’arrivée de la pandémie fait grandir les inquiétudes liées aux transferts d’argent.

 

Après que la pandémie ait frappé la planète, les prédictions de la banque mondiale annonçaient une chute drastique (20%) des transferts d’argent vers les pays à revenu faible et intermédiaire, chute dessinée en prévision de la baisse des salaires et de l’emploi des travailleurs migrants. Pourtant, ce sont finalement 540 milliards de dollars[1] qui ont transité en transferts d’argent privés vers ces mêmes pays en 2020. Soit une baisse de seulement 1,6% par rapport à 2019. Un chiffre qui s’affiche moins importante que lors de la crise économique de 2009. À l’échelle mondiale concrètement les envois de fonds ont augmenté de 6,5% en Amérique latine ainsi que dans les Caraïbes, de 5,2% en Asie du Sud et de 2,3% au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Ils ont baissé de 7,9% en Asie de l’Est et Pacifique, de 9,7% en Europe et en Asie centrale et de 12,5% en Afrique subsaharienne, ce dernier chiffre étant principalement impacté en raison d’une baisse conséquente des transferts d’argent au Nigeria.

Les restrictions strictes imposées aux déplacements des ressortissants chinois notamment dès le début de la pandémie peuvent expliquer la baisse des transferts dans les pays d’Asie. L’augmentation des envois de fonds vers le Mexique est probablement due, quant à elle, au fait que les Mexicains ayant de la famille aux États-Unis ont reçu un soutien supplémentaire pour les aider à surmonter la forte contraction économique et la crise de santé publique du pays, alors même que les États-Unis étaient confrontés à leurs propres difficultés.

 

Les pays riches reçoivent plus de transferts d’argent privés que les pays pauvres

Fort est de constater qu’en 2020, les 10 pays ayant le PIB par habitant le plus élevé ont reçu 17,8 milliards de dollars en transferts d’argent, contre 6,2 milliards de dollars reçus pour les 10 pays ayant le PIB par habitant le plus bas. Si nous avions voulu pousser plus loin notre analyse, il aurait été intéressant d’étudier le profil d’immigration de chacun de ces pays ainsi que les lieux de migration de ces diasporas.

Toutefois pour mettre en perspective ces chiffres, il est à noter que les envois de fonds ont représenté une plus grande part du PIB global dans les pays les plus pauvres. En Somalie, pays déchiré par la guerre, ils représentent ainsi 35,3% du PIB en 2020. En excluant cette exception, les transferts d’argent entrants dans les 9 autres pays[2] en développement, représentent en moyenne 2,43% du PIB contre 0,55% du PIB pour les 10 pays les plus riches[3].

Par exemple, les États-Unis enregistrent ainsi en 2020 le montant le plus élevé avec 6,2 milliards de dollars ce qui ne représente pourtant que 0,03% de son PIB. À l’inverse, l’Islande a reçu le plus faible montant de transferts de fonds – 166 millions de dollars – mais qui pourtant représente l’une des parts du PIB les plus importantes parmi les pays riches.

 

Et… la France reçoit plus de transferts d’argent qu’elle n’en génère

La France n’est pas en reste concernant les transferts d’argent entrants. Il s’agit d’un des deux seuls pays européens sur les dix analysés par MoneyTransfers (avec l’Espagne) à recevoir plus d’envois de fonds qu’il n’en génère, soit plus de 24 milliards de dollars en 2020 (0,9% du PIB global) – contre environ 15 milliards de dollars en transferts d’argent sortants. Le pays se place ainsi en pole position des dix plus grandes économies européennes à générer le montant le plus important de transferts entrants, au coude à coude avec l’Allemagne (17 milliards de dollars).

 

Les transferts d’argent sortants, un indicateur de la santé de l’emploi d’un pays ?

Parmi les dix plus grandes économies européennes que nous avons justement eu l’occasion d’analyser, il apparaît somme toute des taux substantiels d’envois de fonds entrants comme sortants bien que l’impact de ces transactions – du fait de la santé économique des pays – affichent une part du PIB global plus timide.

Si l’on compare deux économies européennes similaires en termes de PIB, comme c’est le cas pour la Suisse et la Turquie (entre 700 et 800 milliards de dollars), on peut penser un lien de corrélation entre transferts d’argent et santé du marché de l’emploi.

En effet la Suisse, bien qu’elle soit un modeste bénéficiaire de transferts d’argent, enregistre le montant le plus élevé de transferts sortants. En 2020, ce sont 28 milliards de dollars qui ont ainsi été envoyé à l’étranger, soit 3,7 % du PIB du pays. Un résultat assez prédictible lorsque l’on sait que la population immigrée suisse représente 25% de la population totale du pays (selon les chiffres officiels).

À contrario la Turquie, qui compte elle aussi une population immigrée conséquente, n’enregistre pourtant que 795 millions de dollars de transferts de fonds entrants et 1,3 milliard de dollars en 2020 de transferts de fonds sortants. On pourrait penser qu’avec une population immigrées conséquente, le pays génèrerait plus de transferts sortants. Pourtant même si la Turquie et la Suisse ont un PIB similaire, il n’en reste pas moins que leur marché de l’emploi et leur salaire moyen sont très différents, sans compter l’inflation enregistrée sur l’année 2020. Le taux de chômage en Suisse, en septembre 2021, était de 2,6% alors qu’il serait autour des 13% en Turquie en avril de la même année. Un indicateur à prendre toutefois avec du recul donc.

 

Comme nous l’avons mis en exergue dans notre analyse, les transferts d’argent privés vers les pays en développement représentent une part plus élevée que celle de l’aide publique au développement. Ils sont donc vitaux pour nombre de ces pays, d’autant plus qu’ils représentent pour certains d’entre eux jusqu’à un tiers de leur économie. Toutefois depuis le début de la pandémie, le secteur des envois de fonds privés a subi une baisse, certes moins conséquente que ce qui avait été prédit, mais bien réelle. Comme l’évoque la banque mondiale, cette baisse des revenus en transferts d’argent vers les pays pauvres est principalement dû à la précarité de l’emploi et des salaires pour les travailleurs migrants, tout particulièrement lorsqu’ils se retrouvent dans un pays d’accueil subissant une crise sanitaire. Pour les pays en développement comme pour les pays développés, il est important de pouvoir maintenir ces revenus extérieurs en particulier face à une économie mondiale fragilisée par la pandémie et des incertitudes concernant le marché de l’emploi.

 

Jonathan Merry, CEO de MoneyTransfers.com

 

Bibliographie :

[1] Méthodologie :  Les données de la Banque mondiale sur les flux mondiaux d’envois de fonds, publiées en mai 2021, ont été comparées aux classements du PIB par habitant des pays, qui ont été tirés des Perspectives de l’économie mondiale du Fonds monétaire international (octobre – 2020) via Statistics Times et la Banque Mondiale .

[2] Burundi, Malawi, Soudan, Mozambique, Afghanistan, Madagascar, Sierra Leone, Niger, RDC.

[3] Luxembourg, Suisse, Irlande, Norvège, États-Unis, Danemark, Islande, Qatar, Australie, Pays-Bas (Singapour a été exclue des 10 pays affichant le PIB par habitant le plus élevé en raison du manque de données sur les envois de fonds.)