Docteur en Histoire, Laurent Thiery, historien au Centre d’histoire de La Coupole à Saint-Omer, est le directeur scientifique de l’ouvrage Les 9 000 déportés de France à Mittelbau-Dora, publié en 2020 chez Le cherche midi éditeur. Fruit d’un immense travail étalé sur deux décennies, le livre dresse le portrait et l’histoire des 9 000 déportés de France, majoritairement Résistants et opposants politiques, envoyés au camp de Dora. Pesant plus de 4 kilos, ce « monument de papier » de 2 600 pages est un travail de mémoire qui tenait à cœur à toute l’équipe de Laurent Thiery. Composée d’archivistes, historiens, professeurs, descendants des déportés et de bénévoles, son équipe a travaillé sans relâche pour faire vivre l’histoire de milliers de déportés. L’ouvrage contient 3 000 photos et 9 000 notices biographiques relatant la vie de chacun, avec une précision hors-norme.
L’engagement pour réaliser ce livre a été pris avec l’Amicale Dora-Ellrich à La Coupole en 1998 après la parution de celui d’André Sellier, Histoire du camp de Dora, sorti en 1998. On ne connaissait à l’époque pas le nombre de déportés. Laurent Thiery a voulu le clarifier. Pour lui, ce travail de mémoire était plus que nécessaire. L’ouvrage contient un index dans lequel ces 9 000 vies sont classées selon leur département de résidence (tous sont concernés sans exception) où leur pays pour les étrangers arrêtés en France, le cas échéant.
Le travail d’enquête accompli par des archivistes, historiens, professeurs, est un symbole fort. L’équipe de Laurent Thiery a réussi à écrire leurs histoires avec le maximum d’informations. Cet ouvrage est un outil pédagogique fondamental, au travers de ces histoires et des professeurs qui ont travaillé dessus. Il est par exemple utilisé par les élèves participant au concours national de la résistance et de la déportation. Il est destiné à être diffusé dans les collèges et lycées, et l’index de l’ouvrage permet à tous les professeurs de travailler sur des résistants et déportés de leur propre territoire. Plus encore, ces enseignants peuvent expliquer à partir des documents et des archives, comment retracer des parcours et écrire l’Histoire.
Entretien avec Laurent Thiery.
Opinion Internationale : Monsieur Thiery, qu’est-ce qui a été le plus dur dans votre enquête de deux décennies ?
Laurent Thiery : Le plus difficile a été d’aller jusqu’au bout de l’ouvrage. L’engagement avait été pris en 1998 : entre temps, les personnes impliquées et les élus ont changé. La motivation portée par les bénévoles a été un facteur de réussite.
L’éditeur Philippe Héraclès est quelqu’un d’engagé et une des pierres angulaires de l’ouvrage, c’est aussi grâce à lui que l’on a pu tenir. Ce format papier devait être aussi un monument de papier, et il n’aurait pas vu le jour sans lui. Ce fut plus difficile dans les dernières années. Cet ouvrage est un investissement financier important qui, avant sa parution, a été peu soutenu. Le coût de l’édition et de la fabrication des exemplaires a été pris en charge par Le cherche midi éditeur. Si ces plus de vingt années de recherches ont failli avoir raison de plus d’un chercheur, Philippe Heracles a su maintenir la barre… et les financements.
Si nous y sommes arrivés, c’est que nous étions portés par une véritable attente de retrouver cette histoire familiale enfin écrite qui remplace un autre monument de pierre qui n’existe pas.
Savez-vous pourquoi il n’y a pas de monument à Mittelbau ?
Il y a un monument international sur le site du camp, mais pas avec les noms de ces personnes, qui n’avaient jamais été identifiées de manière formelle. On est allés plus loin, on a pu écrire leurs histoires avec le maximum d’informations.
Pensez-vous que votre ouvrage ait une valeur pédagogique ?
Oui car c’est un outil pédagogique fondamental validé par l’inspection académique des Hauts-de-France. C’est en quelque sorte un livre écrit par des professeurs pour des enseignants. Il est par exemple utilisé par les élèves participant au concours national de la résistance et de la déportation. Il est destiné à être diffusé dans les collèges et lycées, et l’index de l’ouvrage permet à tous les professeurs de travailler sur des résistants et déportés de leur propre territoire.
Plus encore, ces enseignants peuvent expliquer à partir des documents et des archives, comment on peut retracer des parcours et écrire l’Histoire. C’est un bon moyen pour travailler avec les nouvelles générations. On peut ainsi entretenir et raviver toutes les mémoires de la déportation et de la Shoah.
Par exemple à Dora, il y avait 250 juifs, dont la famille de Simone Veil. Mais on en apprend également sur la déportation tsigane, car on en retrouve à Dora. Nous avons également fait une étude spécifique des déportés du Maghreb avec l’équipe de Courrier International. Toutes les mémoires peuvent être étudiées. L’histoire du camp de Dora est particulière, il ne s’agit pas que de la résistance et de la déportation, mais aussi de l’histoire des scientifiques nazis ayant travaillé sur les fusées V2, et qui ont ensuite participé à la conquête spatiale aux États-Unis.
Pourquoi avoir choisi La Coupole et pas un autre centre d’histoire ?
Nous ne l’avons pas choisi, cela s’imposait. Il y a un lien historique fort. La Coupole était à l’origine un bunker construit par les Nazis, doté d’un dôme de béton qui protégeait le site des fusées V2. En 1997 le site a été choisi comme centre d’histoire et de mémoire, notamment pour l’histoire des fusées. Les déportés travaillaient à la construction de ces fusées, liant le camp à la conquête spatiale.
Comment diffusez-vous votre ouvrage pour le faire connaître du grand public ?
De manière très classique, par le biais des moyens de communication, des conférences parfois avec certains auteurs, un peu partout en France, notamment tout récemment à la Cité de l’espace à Toulouse. Grâce à Le cherche midi éditeur, nous sommes dans un travail d’identification et on offre à chacun des familles des déportés de Dora un exemplaire numéroté. Par exemple à Toulouse, nous avions réuni 55 familles. D’autres cérémonies similaires sont à venir à Clermont-Ferrand, La Coupole, au Musée de la Libération de Paris, etc. Enfin, en avril 2022, le Livre sera mis à l’honneur en Allemagne à l’occasion des commémorations de la libération du camp de Mittelbau-Dora.
À la fin de votre travail de mémoire, que pensez-vous avoir légué ?
J’ai une petite fille de 12 ans très impliquée, car c’est aussi une histoire familiale, tout le monde s’engage dans un travail pareil. Ma femme est professeur d’Histoire et auteure, et ce que je trouve important aujourd’hui c’est de voir aux cérémonies des enfants et petits-enfants des familles de déportés. Ce livre devient un outil de transmission familial, on achète plusieurs exemplaires pour les jeunes générations. Ma fille Eugénie en parle à ses amis, elle participe aux cérémonies, les lectures sont faites par des élèves du territoire concerné, et elle lit de temps en temps quelques notices.
Propos recueillis par Maud Baheng Daizey
Le livre des 9 000 déportés de France à Mittelbau-Dora, Le Cherche Midi éditeur, 49 euros. Dans toutes les bonnes librairies.
Visitez La Coupole à Saint-Omer : https://www.lacoupole-france.com/