Passer du lit simple au lit double fait partie de l’évolution logique d’une existence. Mais le lit conjugal n’a pas toujours existé. À quand remonte son invention ?
D’instinct, on estime ses premières apparitions au Moyen-âge. C’est en tout cas ce que l’école nous a appris, rappelez-vous : les Rois recevaient habituellement la plèbe depuis leurs lits extrêmement larges – nous les appelons désormais king size. Et quand on interroge les récits historiques, tout concorde. En effet, lorsque l’Église catholique a fait du mariage un sacrement, au XIIIe siècle, le religieux Thomas d’Aquin a déclaré : « Le couple doit avoir son lit et sa chambre ». Faire chambre à part n’est ainsi plus approuvé par le clergé. De fait elle doit s’agrandir. Et son lit aussi.
Cependant, si passe au peigne fin des archives plus anciennes, des références au lit double apparaissent dès l’Antiquité. Dans l’Odyssée par exemple, Pénélope vérifie l’identité d’Ulysse en le questionnant. « Lequel a été nôtre ? », dit-elle en montrant du doigt plusieurs lits. Il est gage du bon temps passé par les tourtereaux et pour Pénélope, Ulysse doit nécessairement s’en souvenir. Mais dans l’Odyssée comme dans la Grèce antique, le lit pour les amants est perçu comme un lieu intime, à défaut d’être un lieu de repos. Les Romains verront plus tard l’emploi de ce meuble d’un même œil. Chacun dort de son côté sur son propre lit. Les moments passés sous la même couette sont uniquement relatifs à l’intime.
Une démocratisation poussive
Retour au Moyen-âge. L’évêque de Genève François de Sales, au XVIIe siècle, bénit le lit conjugal. Encouragée, sa démocratisation dans toutes les couches sociales s’intensifie. Il devient le port d’attache privilégié du couple. Son arrivée massive dans la société n’est en revanche pas du goût de tous. Les femmes deviennent en effet les proies de leurs maris qui, si on se réfère aux textes de confession de l’époque, possèdent alors un appétit sexuel déraisonnable. Le « lieu d’un amour tout sain, tout sacré, tout divin », décrit par François de Sales lors de sa bénédiction n’est pas tout à fait vrai, les femmes n’étant pas toujours d’accord pour partager le lit.
Dormir seul reste un luxe
Les plus fortunés continuent de dormir sans compagnie, à commencer par les Rois. Même s’ils reçoivent dans un lit d’apparat, les têtes couronnées persistent à faire chambre seules par goût de la solitude. Les aristocrates séparent d’ailleurs les appartements de l’homme et de la femme, car ce mode de vie se maintient toujours dans les mœurs.
La période charnière
La donne change fin XVIIIe siècle. Les grandes villes augmentent tandis que la surface de ses bâtiments diminue. Inévitablement, les chambres à coucher se rapetissent elles aussi. Pour pallier ce manque d’espace, le lit double s’impose en premier choix. De plus, il permet de nouer le lien du couple. Dans la bourgeoisie, cette situation amoureuse est très en vogue. Ce que l’on recherche alors, c’est avant tout la stabilité. Or, le lit symbolise bien ce concept fondamental des temps modernes. Tous les couples se mettent ainsi à acquérir des lits aussi grands que leur amour.
Depuis, la « tradition » s’est perpétuée. Par la praticité et le gain de place gagnés, le lit double a peu à peu effacé le succès de son rival « à une place » du côté des couples. Par ailleurs, il incarne toujours un symbole fort dans le couple. Constatez par vous-mêmes : renoncer à dormir à deux signifie bien souvent la fin du couple dans nos esprits. Comme l’écrivait Honoré De Balzac il y a pratiquement deux siècles, « le lit est tout le mariage », et cela n’est pas près de changer.
Noé Kolanek