Edito
06H58 - samedi 20 novembre 2021

Les veufs, les oubliés de la crise Covid. L’édito de Michel Taube

 

À ce jour, presque 120.000 personnes sont décédées de la Covid en France. Une cinquième vague arrive sur la France, l’Europe du nord, du centre et de l’est étant déjà très impactée.

Combien de veuves et de veufs ont-ils à gérer désormais seuls, un proche à charge, des enfants, un parent âgé ? Y a-t-il même des orphelins de la Covid dont les deux parents sont disparus ?

A notre connaissance, il n’existe pas de chiffres ni d’estimation officielle de cette nouvelle population veuve dont la cellule familiale se trouve amputée d’un être cher, voire décimée par cette épidémie ? On sait que « seulement » 8 % des morts de la Covid avaient moins de 64 ans, mais ils représentent tout de même plus de 9600 victimes, soit autant de morts qu’une grippe saisonnière, toutes classes d’âge confondues, ou d’accidents de la route en trois années. Perdre son conjoint ou son compagnon, dans un contexte d’épidémie et de panique collective, est une perte traumatisante aux effets collatéraux incalculables.

Ce n’est pas une statistique ou un drame collectif. La Covid, c’est l’addition de drames individuels, personnels, de vies brisées, d’avenirs qui brusquement s’assombrissent.

Parmi ces veuves et veufs se comptent de nombreux parents, se retrouvant du jour au lendemain dans le statut de « famille monoparentale ». Un drame pour les enfants, orphelins de leur mère ou de leur père, et pour le parent survivant, confronté brutalement à d’innombrables contraintes, coiffant alors la double casquette de papa-maman.  

Nous avions plaidé en début d’année 2021, en vain, pour que les veufs soient parmi les premiers éligibles à la vaccination, sur les motifs que le risque de disparition du second conjoint est vécu comme une épée de Damoclès par ces « survivants » du Covid. Outre le drame de l’orphelin, cette situation engendrerait un coût considérable pour la collectivité, si elle venait à se produire.

Nous demandons à nouveau aux pouvoirs publics de mettre les veuves et les veufs de la Covid parmi les prioritaires pour la dose de rappel.

Ces parents qui vivent dans la tristesse, avec la crainte pour eux-mêmes et leur(s) enfant(s), méritent une attention toute particulière. Qu’adviendrait-il de leur progéniture s’ils étaient incapables de s’occuper d’eux ? Ils se retrouveraient au mieux chez un membre de leur famille, au pire dans une famille d’accueil de l’Aide sociale à l’enfance.

Déjà, en dehors de toute Covid, 21 % des enfants (chiffres de 2018), soit 4 millions d’entre eux, vivent avec un seul de leurs parents à domicile, dont 82 % avec leur mère, souvent aux revenus modestes. Il eut été utile de les considérer elles aussi comme prioritaires à la vaccination et à la dose de rappel.

L’enjeu est humain, il est aussi juridique, patrimonial, successoral ! Les survivants de la Covid, laissés seuls, sont confrontés à de multiples tracasseries administratives. Notaires débordés, banques qui tardent à débloquer les fonds liés à une succession, des drames humains constituent cet autre Covid long dont personne ne parle.

Pour l’avenir, il serait légitime que, dans une famille endeuillée, les veuves et veufs du Covid puissent être aidés dans leurs démarches successorales et la préparation des obsèques, tout comme pour la garde de leurs enfants. Qu’ils puissent aussi, si tel est leur désir, bénéficier d’un soutien psychologique. La justice, qui avait scandaleusement baissé le rideau lors du premier confinement, devrait au moins veiller à ce que le juge des tutelles des mineurs traite en priorité ces dossiers. A condition de le doter de renforts humains et matériels.

Les pouvoirs publics ont souvent manqué d’empathie dans la crise de la Covid.

Nous pourrions aussi parler des seniors, nos aînés ! La société s’est peu penchée sur les aînés morts de la Covid à leur domicile, loin du décompte macabre et mathématique des chiffres des Ehpad. Mais pour tous ces anciens disparus prématurément, combien se retrouvent plongés dans une solitude abyssale par le décès de leur moitié. Ce deuil impossible lorsqu’on a vécu des décennies ensemble est souvent le point de départ d’un inéluctable glissement. Inutile de se remémorer les paroles de la chanson « Les vieux » de Jacques Brel pour s’en convaincre : sans sa moitié, le goût à la vie disparaît.

Le temps est venu pour la France de se préoccuper avec plus de bienveillance, en amont et en aval de ces drames, de ses enfants et de ses aînés les plus fragilisés par l’épidémie.

 

Michel Taube

Directeur de la publication

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