La souveraineté numérique, il y a ceux qui en causent, comme les pouvoirs publics français, et ceux qui l’appliquent, comme le Luxembourg, ou qui pourraient l’imposer à leur gouvernement, comme le peuple suisse pourrait le faire prochainement.
La Suisse, Gilles Lunzenfichter la connaît bien. Cet Alsacien y vit depuis longtemps et a adopté quelques pointes d’accent helvète. Il est le fondateur de la société Medisanté, basée à Luzern, dans la Confédération helvétique, spécialisée en télésurveillance médicale sécurisée. Nous suivons cette société depuis quelques années.
Gilles Lunzenfichter a récemment interpelé Opinion Internationale sur l’initiative de plusieurs entreprises et citoyens de la Confédération de lancer un référendum, pardon une votation, en faveur d’un cloud suisse. Un site internet dédié a été mis en place à cet effet : https://swissdatasovereignty.ch/. Le message est clair et simple : « Les données numériques des citoyens et citoyennes suisses doivent être hébergées en Suisse et régies par les lois suisses. » Si suffisamment de signatures sont réunies, une votation sera organisée en 2022.
Est-ce du nationalisme ? Est-ce du bon sens ? Est-ce seulement possible ?
Pourquoi une telle initiative ? Le Conseil fédéral (l’exécutif du pays) avait décidé de confier à des entreprises américaines et une entreprise chinoise la mise en place d’un « Swiss cloud ». Pour limiter les risques et l’impact d’éventuels transferts illicites de données (ou pour faire diversion !), les autorités suisses n’ont pas mis tous les œufs numériques dans le même panier : les Américains Oracle, Microsoft, Amazon et IBM, complétés par le Chinois Alibaba (sous la surveillance permanente du Parti communiste chinois) se partageront le marché de 110 millions de francs suisses (105,6 millions d’Euros).
Google, écarté par le Conseil fédéral, a déposé un recours judiciaire.
Cette décision de créer un cloud suisse pour le confier à des Américains et Chinois n’est pas passée aussi facilement que les autorités l’espéraient. En Suisse, le peuple est réellement souverain, mais il faut dire qu’il a jusqu’à présent fait montre d’une maturité et d’un pragmatisme indispensables dans l’exercice de la démocratie directe, contrairement à ceux qui, en France, réclament le RIC (référendum d’initiative citoyenne) sur fond de révolution prolétarienne.
En France précisément, le peuple n’a voix au chapitre que lors des élections. Ensuite, le président de la République décide, le Parlement entérine et le gouvernement exécute. S’agissant de la souveraineté numérique globale, celle de la sphère publique, du moins, Emmanuel Macron a d’autres chats à fouetter. Sauf à revenir au Minitel (Éric Zemmour apprécierait), cette souveraineté n’est pas pour demain.
Pire, même l’hébergement de données aussi sensibles que celles de l’armée est confié à Microsoft. Et comme il est vrai que l’inventeur de Windows a fait ses preuves, autant ne pas se casser la tête et ne casser que sa tirelire (celle des Français) pour continuer avec le géant américain. Cette fois, le ministère de la Santé a fait fort : le Health Data Hub (HDH), une dénomination curieuse pour cet organisme public français, centralise toutes nos données de santé, hébergées par… Microsoft ! C’est que la Cour de justice de l’Union européenne avait pourtant clairement averti que notre système juridique basé sur le règlement européen sur la protection des données à caractère personnel (RGPD) n’empêchait pas l’administration américaine de mettre la main sur nos précieuses données.
N’existe-t-il pas d’entreprises françaises ou européennes capables de mettre en place un réseau de serveurs « dans le nuage », un système de cloud répondant à tous les critères comme l’interopérabilité, la disponibilité et la sécurité des données ? Si demain, le peuple suisse devait rejeter la décision de son gouvernement, celui-ci n’aurait pas le choix. Le Swiss cloud ne serait alors pas américano-chinois. Il serait suisse, pas même européen. La souveraineté numérique ne serait dès lors plus une formule galvaudée et un vœu pieux. Elle deviendrait une obligation juridique, imposée par le peuple souverain d’une grande démocratie.
Les prestataires suisses ne pourraient que s’en réjouir, et on peut parier que subitement, l’impossible ne le serait plus. Ici, impossible n’est pas suisse, mais français. Alors qu’attend-on de ce côté des Alpes ? Un scandale comme la fuite des dossiers médicaux des Français vers le pays de l’Oncle Sam ? La France était censée être une nouvelle « start-up nation », lors de l’élection d’Emmanuel Macron. Elle regorge d’entreprises innovantes, obligées de ferrailler contre une bureaucratie étouffante et des règlements abscons (« Vous avez oublié de cocher la case H251 de l’annexe 6D du formulaire J1023 »). Hélas, le trait est à peine forcé.
La France compte aussi quelques belles entreprises comme Orange ou OVH, capables, si les pouvoirs publics le décidaient, de mettre en place un vrai « French Cloud ». À l’Assemblé nationale, il existe bien un « groupe d’études : cybersécurité et souveraineté numérique ». Etudier, c’est bien. Agir, c’est mieux !
La balle (numérique s’entend) sera dans le camp du prochain chef de l’État. Il serait salutaire d’entendre les candidats à la présidence de la République se prononcer sur les questions de souveraineté numérique, et de les amener à s’engager sur des mesures concrètes et immédiates.
Pour le plus grand bien des Français et de ses entreprises du high tech.
Michel Taube