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12H46 - mercredi 8 décembre 2021

« Je vous avais prévenu ! » Philippe Latombe commente la censure partielle par le Conseil constitutionnel de deux lois sur les données de connexion

 

Les Sages du Conseil constitutionnel ont censuré plusieurs dispositions de loi permettant au procureur de réquisitionner des données de connexion, sans contrôle du juge. Il donne au législateur un an pour revoir sa copie. Pourquoi cette décision? Quelle est sa portée? Pourquoi un délai d’un an en tenir compte, à quatre mois des élections présidentielles? Entretien express avec le député Modem Philippe Latombe, qui avait mis en garde la Chancellerie sur le risque de censure par les Sages.

 

Opinion Internationale : Le Conseil constitutionnel a censuré plusieurs dispositions relatives aux réquisitions de données de connexion par le Procureur de la République, issues de deux lois de 2019 et 2020, tout en donnant au législateur un an pour revoir sa copie. Mais que restera-t-il de cette décision et de ces lois si le prochain président propose aux Français de réformer la Constitution par référendum?

Philippe Latombe : Le délai permet d’éviter de démunir les services de police et de justice des mesures d’investigation. Je peine à imaginer une réforme constitutionnelle sur ce point particulier, quelle que soit l’issue des prochains scrutins. Une réforme constitutionnelle ne peut porter atteinte à la protection de la vie privée. Cette décision des Sages va dans le sens de la jurisprudence européenne. La Cour de justice de l’Union européenne considère en effet que des réquisitions faites par un procureur lors d’enquêtes préliminaires sont contraires au droit européen.

La décision du Conseil constitutionnel repose notamment sur le défaut de recours judiciaire contre une décision du procureur. Cependant, vu l’état de notre justice, est-il raisonnable d’alourdir la procédure dans un domaine où la célérité de l’action est souvent essentielle?

Ce que dit le Conseil constitutionnel, c’est que lors des enquêtes préliminaires, le procureur ne peut être dans le rôle de juge. Je vois cependant mal un juge d’instruction traiter les enquêtes préliminaires en raison de son importante charge de travail. En revanche, on pourrait soumettre les réquisitions proposées par le procureur à une décision du juge de la liberté de la détention, ce qui supposerait bien entendu de recruter un certain nombre de magistrats. Le procureur requiert, le juge décide. C’est ainsi que la justice doit fonctionner. Cette décision du Conseil constitutionnel conduit à une réflexion plus globale sur le rôle du parquet et son articulation avec celui du juge.

Redéfinir la place du procureur implique une réforme de la justice, voire une modification de la Constitution. Tout cela d’ici un an?

Ce délai pose à la fois des problèmes juridiques et est un défi temporel. On pourrait imaginer intercaler un juge de la liberté de la détention entre l’enquête préliminaire conduite par le procureur, et la réquisition. Le problème serait contourné. D’autres pays le font déjà. Paradoxalement, le délai d’un an est à la fois très court et très long. Long, car pendant une année, les procédures se poursuivraient et des condamnations interviendraient sur des bases juridiques que le Conseil constitutionnel vient de remettre en cause, comme par exemple la preuve rapportée par des fadettes. La situation rappelle sa décision de 2010 à propos de la présence de l’avocat au début de la garde à vue : les juridictions d’appel avaient anticipé son application pour ne pas priver les prévenus de futurs droits.

D’un autre côté, ce délai d’un an est très court pour légiférer, car il faut revenir sur toute la procédure, pas seulement pénale d’ailleurs : la décision des Sages impacte aussi les réquisitions auprès des organismes sociaux tels que l’URSSAF, Pôle Emploi ou les Assédic… Il y aurait de fait des répercussions sur le droit administratif et le droit public. Réfléchir à ce sujet avant la prochaine mandature me semble néanmoins primordial.

Par ailleurs, sachant que ce texte serait soumis au Conseil constitutionnel, on aurait en définitive moins d’un an pour légiférer. Même si l’on optait pour la procédure accélérée, il faudrait à la fois tenir compte du Sénat, de l’Assemblée nationale, des interruptions potentielles de séance… Par conséquent, le temps d’action est court. Il est improbable d’aboutir à une telle réforme avant la fin de cette mandature. Néanmoins, commencer à travailler sur le sujet, nommer des rapporteurs, faire des auditions… Toutes ces actions sont absolument nécessaires. Le Sénat ne sera pas en période d’élection durant ce délai. Il conservera sa capacité de mener des auditions fouillées, également de discuter avec l’ensemble des personnes compétentes en la matière, afin de retenir la meilleure marche à suivre.

Ces dernières années, le Conseil constitutionnel a censuré plusieurs textes d’ordre sécuritaire, y compris à propos de la propagation de la haine en ligne, en vertu de l’éternelle recherche d’un équilibre entre sécurité et liberté. Le Conseil constitutionnel privilégie-t-il à chaque fois la liberté, ou sa censure s’explique-t-elle pas la piètre rédaction des lois?

Je ne partage pas ce point de vue répandu affirmant que le Conseil constitutionnel défend systématiquement la liberté contre la sécurité, en méconnaissant les nouvelles technologies ou les problématiques du monde actuel, comme le terrorisme. Par exemple, il a validé les dispositions relatives à la géolocalisation. Par des effets d’opportunités, le gouvernement et le législateur ont peut-être voulu mettre le curseur le plus loin possible, afin de rassurer la population et les services de sécurité, ou pour s’assurer une couverture médiatique plus forte. J’ai prévenu plusieurs fois la Chancellerie que ces textes risquaient d’être retoqués par le Conseil constitutionnel, tant pour des motifs constitutionnels que de droit européen. Il n’a rien voulu entendre. Cette fois, ce sont les Sages qui rappellent qu’on ne rédige pas des lois dans la précipitation, au mépris de la jurisprudence européenne, du respect des libertés fondamentales, et sans écouter le Sénat.

 

Raymond Taube avec Noé Kolanek

Directeur de l'IDP - Institut de Droit Pratique

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