Linda Sangaret a grandi dans la lutte pour la libération de l’Afrique du Sud, et elle y a vécu après les élections démocratiques. Elle y a passé 7 ans, en travaillant pour la promotion de l’Afrique du Sud à l’étranger à travers différentes instances : conseillère auprès du ministère sud-africain des Sports et de la Culture, diplomate à l’ambassade sud-africaine à Paris, elle a consacré sa vie à la promotion tant dans le tourisme que dans la culture ou l’investissement. La France a été sa terre d’accueil dès 1989, année où elle atterrit en tant qu’étudiante boursière. Depuis, sa carrière lui a permis de développer une solide connaissance des relations entre la France et l’Afrique, et plus particulièrement avec l’Afrique du Sud. Elle a témoigné pour Opinion Internationale des stigmatisations que subissent l’Inde et l’Afrique quant aux variants du COVID-19 développés en Afrique et en Asie.
Entretien.
Opinion Internationale : est-ce que le changement de noms des variants a influé sur les discriminations en Afrique du Sud ?
Linda Sangaret : À l’apparition du COVID-19, collaborer au niveau international afin de protéger les populations et réduire le nombre de cas était primordial. Si le monde a été économiquement impacté par les confinements, la situation a été plus dure pour les pays pauvres et en voie de développement. Les appellations des variants nous ont causé beaucoup de torts. Il était nécessaire de savoir quels effets chaque variant causait. Mais nous n’avons donné des noms qu’aux variants africains et indiens, engendrant de la discrimination. Le dernier variant nommé Omicron arrive à un moment où l’Afrique essaie avec beaucoup de difficulté de réparer les ravages économiques du Covid-19. La décision de la France et de l’Europe d’isoler l’Afrique du Sud dès l’annonce de la découverte du nouveau variant est vécue par les sud-africains comme une agression injuste. On nous a pointé du doigt comme si nous avions fabriqué des variants intentionnellement. Le variant Delta, autrefois appelé variant indien, est arrivé après en Afrique du Sud, et les deux pays ont rapidement fini sur liste rouge. Il y a pourtant 24 variants aux États-Unis qui n’ont pas de noms !
Quid de l’Union européenne, qui a forcément eu des variants dont on n’a jamais entendu parler ? Pourquoi l’Afrique et l’Inde sont les seuls à avoir eu droit à des appellations pour leurs variants, et à subir l’acharnement de la part de certains pays, quand l’Union européenne et les États-Unis n’évoquent jamais les leurs ? Le variant Omicron n’a tué personne pour l’heure, les symptômes ne sont pas aussi graves que les autres variants, mais la réaction internationale est disproportionnée. L’Afrique du Sud avait pleinement collaboré à la détection du variant Omicron, et la fermeture des frontières est la seule réponse de l’Occident.
Votre travail a-t-il été impacté par les discriminations subies par l’Afrique du Sud ?
Oui. J’ai travaillé jusqu’en octobre pour le gouvernement sud-africain, et tout le monde a été touché (les exportations générales ont été bloquées, le tourisme est en berne…). J’ai été directrice de l’office de tourisme de l’Afrique du Sud à Paris pendant 9 ans, nous avons fait un travail colossal pour promouvoir le pays, nous avons beaucoup investi, car il fallait déconstruire les préjugés des Français sur le pays. Avec la COVID-19, tout a été balayé. L’Afrique du Sud comme destination de tourisme n’est plus d’actualité, il faut tout recommencer pour remettre la destination au goût des voyageurs. Tout recommencer pour effacer l’image négative que les variants Delta et Omicron ont créé. Les Sud-Africains ne comprennent pas l’acharnement subi, notamment avec les médias. Non, l’Afrique du Sud n’est pas « le pays le plus touché », le variant Omicron n’a pas fait de dommages aussi terribles que les autres variants.
Une guerre économique semble être livrée à l’Afrique. Les pays occidentaux tentent de relancer leur économie. Pour éviter que les Français n’aillent en Afrique du Sud en hiver, on ferme les frontières de nos pays grâce aux variants. Les Français remplissent alors les stations de ski au lieu de nous rendre visite, pendant notre haute saison touristique. L’Afrique du Sud a connu une véritable perte, de plusieurs millions de touristes en quelques mois. En octobre, je suis allée en Afrique du Sud pour une mission, et l’avion était rempli de touristes.
Comment luttez-vous contre les discriminations évoquées ?
Je ne suis plus employée par le gouvernement sud-africain, je suis revenue en France où j’ai vécu 27 ans. Mais depuis que je suis une jeune adulte, je travaille pour la promotion du pays. J’ai lutté contre l’apartheid, j’ai travaillé pour l’ANC, le parti de Nelson Mandela. Je continuerai toujours à faire mon travail, car l’Afrique du Sud mérite mieux de la part de la France et de l’Europe. Il faut une relation plus cohérente entre l’Afrique du Sud et l’Europe, d’égale à égal. Quand le variant Delta faisait le plus de morts, l’Europe a ouvert ses frontières et autorisé les voyages du monde entier. Nous étions sur liste rouge, mais il fallait relancer l’économie touristique en Europe. Les frontières sont fermées selon leurs besoins économiques.
À l’époque, alors que Delta tuait, on a juste estimé qu’il fallait un test et aujourd’hui, on a le variant Omicron qui n’a rien à voir avec Delta, et on ferme tout. Surtout quand nous avons appris qu’Omicron n’était peut-être pas sud-africain… L’Union européenne stockait toutes les doses sans en avoir forcément besoin, critique un taux de vaccination trop faible en Afrique, et ensuite annonce l’envoi des vaccins vers le continent, y compris des millions de doses fabriquées en Afrique du Sud !
Lorsque les premiers vaccins ont été avancés, la présidence sud-africaine a annoncé le partenariat avec Johnson&Johnson pour la fabrication en Afrique du Sud, et la population s’est portée volontaire pour les tests. En contrepartie, elle aurait dû avoir accès en priorité aux vaccins, mais rien n’a été fait en ce sens. On n’a toujours pas produit une dose, et les Sud-Africains les attendent pour se faire vacciner. Imaginez ma surprise lorsque « l’Union européenne annonce envoyer des millions de doses de vaccins en Afrique pour faire avancer la vaccination sur notre continent. » Alors que le vaccin Aspen (développé en partenariat avec le laboratoire Johnson&Jonhson) a été largement utilisé par les Européens, ils nous ont même pris nos stocks.
Notre pays n’a jamais lâché sa garde en matière de prévention de Covid-19, il mérite bien mieux que ce qu’il a subi depuis l’apparition d’Omicron. La fin de l’isolement et la reprise des vols vers l’Afrique du Sud montrent que la décision initiale, qui a causé du tort, était précipitée, discriminatoire et injuste. Ce changement de décision est bien accueilli, mais je pense que l’Afrique du Sud mérite des excuses et une reconnaissance de la part de ses partenaires européens.
Propos recueillis par Maud Baheng Daizey.