L’économie et l’immobilier n’ont aucun secret pour Divy Bartra. Président de la commission économie et fiscalité du Medef en Nouvelle-Calédonie de 2018 à 2020, gérant de l’Agence Générale de Nouméa, président de la fédération territoriale des agents immobiliers de Nouvelle-Calédonie Divy Bartra a fait de la croissance économique de l’archipel sa vocation. Divy Bartra témoigne aujourd’hui pour Opinion Internationale des enjeux économiques du troisième référendum en Nouvelle-Calédonie. Entretien.
Opinion Internationale : ce référendum est-il une question politique ou économique ?
Divy Bartra : Indubitablement les deux, c’est une question politique qui a des répercussions considérables sur l’économie. La société calédonienne vit au rythme de ces référendums et l’économie en est très affectée du fait de l’incertitude, de l’incapacité à anticiper l’après-référendum. Sans compter que chaque année, l’archipel présente un solde migratoire négatif de 2000 à 2500 personnes, pour une population de 270 000 habitants, constituant un frein certain à la croissance économique locale, car il n’y a plus assez d’arrivées pour compenser les départs.
Les gens partent car ils ressentent un « ras-le-bol » général de cette situation, et avec eux s’envolent un pouvoir d’achat et des compétences nécessaires à l’archipel.
Des études probantes ont-elles été menées sur les conséquences économiques et sociales qu’aurait l’indépendance ?
Oui, une enquête très fouillée a été publiée à l’initiative du ministère des Outre-mer. Elle révèle que 70 000 personnes seraient prêtes à quitter l’île en cas d’indépendance, engendrant un véritable coup de tonnerre pour l’archipel. Les répercussions seraient multiples, notamment sur la monnaie, avec une dévaluation quasi immédiate en cas de séparation avec la métropole. Les coûts des importations augmenteraient sans aucun doute, de même que ceux de l’énergie et de la vie en général. Les Calédoniens seraient incontestablement appauvris.
Quels sont les enjeux économiques de ce référendum ?
La Nouvelle-Calédonie est à un tournant de son histoire, elle est arrivée après plus de vingt années de paix à une prospérité économique fondée sur les transferts économiques de la métropole et les grands chantiers réalisés sur la période (construction de deux usines métallurgiques, d’un aéroport, de deux hôpitaux, etc.) . L’archipel est un des rares territoires français à avoir connu une croissance de 5-6% durant des années (nous pouvons parler de « 30 Glorieuses Calédoniennes »). Notre bonne situation économique a conduit les politiques à sur-administrer et sur-embaucher.
On se retrouve aujourd’hui, après cet âge d’or, dans une crispation économique du fait du contexte politique. L’administration est devenue encore plus pesante, de même que le système de santé, très mal gouverné. En définitive, les dépenses publiques représentent près de 60% du PIB, absorbant une part bien trop importante de la richesse. Nous avons un nombre de fonctionnaires et une masse salariale de la fonction publique plus élevés qu’en métropole. Pourquoi ? Parce que pour acheter la paix, l’accord de Nouméa a prévu un partage du pouvoir, donnant naissance à une multitude d’institutions et à une inflation du nombre d’établissements et de directions publics, donc du nombre de fonctionnaires.
Nous sommes à un tournant économique, nous allons devoir faire un choix sur notre modèle, car imiter celui de la métropole n’est plus tenable. Soit on reste dans une logique d’assistanat égalitaire, une mauvaise idée pour une aussi petite économie, soit on prend un nouveau virage et on redevient une terre où règne l’esprit pionnier. La Nouvelle-Calédonie a 18 mois pour déterminer son avenir, non pas politique cette-fois, mais économique et son modèle de développement global.
Peut-on comparer la Nouvelle-Calédonie à des îles Etats insulaires indépendants qui souffriraient d’être seuls ou qui vivent très bien de leur « solitude souveraine » ?
On peut faire des analogies notamment avec le Vanuatu, qui est indépendant depuis les années 80 et qui est un territoire relativement proche de la Nouvelle-Calédonie, à quelques heures d’avion. Le Vanuatu est un territoire où le PIB par tête est quatorze fois inférieur à celui de la Nouvelle-Calédonie. Certes, il ne dispose pas de ressources naturelles et la quasi-totalité de la population vit en dehors du système marchand. Ils n’ont par exemple pas de système éducatif et de protection sociale. La Nouvelle-Calédonie, de par son histoire et son attachement à la France possède un niveau de vie inédit dans le Pacifique. On a eu beaucoup de chance avec la métropole. Si on compare la situation avec la Polynésie française, qui a une population de 300 000 habitants, le PIB de la Polynésie a progressé moins vite et est aujourd’hui deux fois inférieur à celui de la Nouvelle-Calédonie.
Comment sera la Nouvelle-Calédonie le 13 décembre, au lendemain du référendum ? Pensez-vous que cela sera un nouveau départ ?
Personnellement, je serai dans l’expectative. Elle restera française, nous le savons déjà, il n’y aura pas de déclaration d’indépendance. De nombreuses et lourdes interrogations demeurent néanmoins, pour lesquelles nous n’aurons pas les réponses d’ici le 13 décembre. Va-t-on repartir dans une logique d’affrontement ? Les indépendantistes vont-ils accepter de revenir autour de la table pour préparer le futur de la Calédonie ? Je pense qu’on attend d’en savoir plus sur la réaction future des indépendantistes pour être rassurés et savoir anticiper l’après-référendum.
Propos recueillis par Michel Taube et Maud Baheng-Daizey