Le 12 décembre 2021, la Nouvelle-Calédonie décidera de son avenir : rester française ou se livrer à l’inconnu. La fin d’un long, très long processus de près de deux générations ! Une page qui se tourne et dont témoignent cinq protagonistes du débat calédonien à la une d’Opinion Internationale : Sonia Backes, Divy Bartra, Olivier Houdan, Christophe Sand et Marie-Laure Ukeiwe.
Au moins depuis les années 1980, l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie va et vient dans le débat, parfois au gré des violences. Certes, son appartenance à la France a bien évidemment une origine coloniale. Mais si ce raisonnement devait être appliqué à toute l’humanité, il faudrait que les Européens devenus Américains rendent l’Amérique du Nord et du Sud aux Indiens, ou que les Arabes restituent leurs innombrables conquêtes africaines et asiatiques aux peuples qui en ont été spoliés. On ne peut réécrire l’histoire de l’humanité !
Les revendications indépendantistes fracturent la société néo-calédonienne.
Toute épopée coloniale génère tôt ou tard des revendications indépendantistes. Mais près de 80 ans après l’accession de tous les Néo-Calédoniens à la pleine citoyenneté française, la quasi-totalité des actuels habitants de l’archipel, dont les Kanaks, son peuple autochtone, sont nés en France, qui n’est pas seulement métropolitaine, et n’ont jamais été que Français. Quant aux Caldoches, ils sont descendants des colons européens, mais ils ne sont pas eux-mêmes des colons. Leur « pays » est la Nouvelle-Calédonie, et leur patrie est la France.
Il est néanmoins indéniable que durant les trente glorieuses, les richesses n’ont pas été assez équitablement partagées, en particulier celles provenant de l’exploitation du nickel. De 1984 à 1988, les tensions ne cesseront de s’exacerber sur fond de revendications indépendantistes, jusqu’à dégénérer en insurrection. Après moult péripéties, les accords de Matignon, signés le 26 juin 1988, prévoient un statut transitoire de dix ans, prélude à un référendum sur l’indépendance. Durant cette période, de considérables efforts ont été consentis pour développer la Nouvelle-Calédonie et améliorer significativement le niveau de vie des habitants.
En 1998, les accords de Nouméa renforcent l’autonomie de la Nouvelle-Calédonie et prévoient l’organisation d’un référendum sur l’indépendance, suivi d’un second, voire d’un troisième si celle-ci était rejetée. Étrange idée que de prévoir de voter trois fois en cas de « oui à la France ». Comme s’il était honteux de se dire fier d’être Français.
Le 4 novembre 2018, l’indépendance fut rejetée par 56,7 % des Néo-Calédoniens. Ils réitérèrent leur volonté de rester Français le 4 octobre 2020 avec 53,3% de voix, un score révélateur de la profondeur du fossé entre les deux camps.
Le troisième et ultime référendum est donc prévu pour ce 12 décembre, malgré l’opposition des indépendantistes qui invoquent notamment la crise sanitaire et les longs rites funéraires à la suite de nombreux décès dus au Covid, parmi les Kanaks. Le FLNKS met en garde contre le risque de troubles, en particulier chez les jeunes, mais il n’appelle pas ouvertement à l’insurrection ou à la violence. Le référendum aura bien lieu à la date prévue, et nul ne se fait d’illusion sur son issue, à plus forte raison si les indépendantistes s’abstiennent massivement.
Pour ces derniers, ce n’est que partie remise. Pourtant les revendications indépendantistes tendent à se sédimenter dans une sorte de posture idéologique. Car tout porte en effet à croire que les Néo-Calédoniens, et tout particulièrement les Kanaks, n’y récolteraient que, paradoxalement, dépendance.
Se livrer à la Chine…
Les premiers habitants de la Nouvelle-Calédonie sont vraisemblablement venus du sud de la Chine il y plus de 8000 ans. Il va sans dire que cette antériorité néolithique ne confère aucune légitimité à la Chine contemporaine. La Nouvelle-Calédonie devint une colonie française en 1860. Les Kanaks devinrent citoyens français au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, les indépendantistes ne semblent pas être parfaitement conscients des conséquences d’une éventuelle indépendance, dans un contexte géostratégique fortement marqué par l’expansion chinoise. Ladite indépendance serait aussi illusoire que la prétendue souveraineté de la France hors de l’Union européenne, prônée par les souverainistes hexagonaux. Dans un cas comme dans l’autre, le pays souverain serait une proie pour les prédateurs privés et publics qui rôdent dans son sillage.
Dans cette zone du Pacifique, la Chine fait montre d’une volonté hégémonique de plus en plus affirmée, conduisant les États-Unis, autre géant du Pacifique, à y renforcer sa puissance et à y consolider ses alliances. La France en a fait les frais, en se faisant souffler un énorme contrat de vente de sous-marins à l’Australie. Une Nouvelle-Calédonie indépendante deviendrait instantanément une cible sur cet échiquier océanique, surtout pour la Chine qui pourrait être tentée d’en faire une place forte, à moins de 1500 kilomètres des côtes australiennes, une Chine dont le régime politique ne tolère aucune contestation ni revendication.
… ou devenir un paradis fiscal et touristique.
Faisons semblant d’être optimistes : imaginons que la Nouvelle-Calédonie devienne indépendante et réussisse à tenir à distance les prédateurs extérieurs. Comment dès lors garantir à la population un niveau de vie décent et des services publics au même niveau que ceux de l’époque française ? Une seule réponse semble plausible : en transformant l’archipel en paradis fiscal et touristique, ce qui conduirait inévitablement à l’enrichissement d’une petite minorité, au développement de la corruption et à l’appauvrissement global de la population. Que resterait-il des services publics français, pays aux plus fortes dépenses sociales de la planète ? On dit qu’en général, on sait ce que l’on perd, mais pas ce que l’on va trouver. Ici, on peut en avoir une idée, et elle devrait avoir de quoi décourager les revendications indépendantistes.
La Nouvelle-Calédonie : un atout pour la France.
Le choix de la France, c’est un double choix : celui des Calédoniens de rester Français. Celui aussi que la métropole devrait manifester davantage, celui de se tourner vers ses Outre-mer.
La France dispose du deuxième plus grand espace maritime du monde, après les États-Unis. Sur le plan géopolitique comme sur le plan économique, cet espace est un atout considérable. Sans lui, et donc sans les Français d’Outre-mer, la place de la France au Conseil de sécurité de l’ONU, avec droit de véto, ne serait plus que le fruit de l’histoire, celui de la Seconde Guerre mondiale que la France n’a pas gagnée toute seule. Cette place s’en trouverait par conséquent fragilisée.
S’agissant de la Nouvelle-Cadédonie, elle est au cœur d’une zone pacifique dont les géopoliticiens nous disent qu’elle sera le terrain d’une grande bataille idéologique, et peut-être militaire, dans ces prochaines décennies. La zone la plus stratégique de la planète, en somme.
La France doit cesser de jouer la Nouvelle-Calédonie aux dés. Trois référendums, cela suffit.
Bien entendu, la France doit aussi s’engager plus fermement sur le terrain de la réduction de la fracture sociale et ethnique, mettre en valeur ce qu’elle apporte aux Néo-Calédoniens en termes de services publics et d’opportunités économiques, tout en respectant la culture et les us et coutumes des différentes ethnies de l’archipel, en particulier les kanaks mais tous les peuples autochtones qui la composent.
Notre appel à un Grenelle des Outre-mer, lancé avec Alain Dupouy en métropole et Emmanuel de Reynal aux Antilles, va dans ce sens et devrait, espérons-le, animer l’élection présidentielle.
Au fond, l’équation calédonienne, ultra-marine, n’est pas si différente de celle posée en métropole lorsque l’on évoque le séparatisme ou la laïcité. La République permet l’expression de toutes les sensibilités, de toutes les croyances, dans le cadre protecteur de la collectivité. Discutailler éternellement de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie est aussi contreproductif que sa réalisation serait catastrophique.
La Nouvelle-Calédonie est et devra rester française, d’abord dans l’intérêt des peuples qui y cohabitent. C’est sur cette cohabitation que les futurs efforts devront porter.
Michel Taube