Pour Marie-Laure Ukeiwë pas de doute, c’est un « non » ferme à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. L’élue du parti Rassemblement-Les Républicains ne voit pas l’archipel autrement que Français, et elle milite sous la bannière Avenir en confiance en faveur du « non ». Marie-Laure Ukeiwë témoigne pour Opinion Internationale d’une ambiance calme avant le référendum, et nous fait part de ses inquiétudes en cas de victoire des indépendantistes.
Entretien.
Opinion Internationale : Pourquoi avoir fait le choix de la France ?
Marie-Laure Ukeiwë : Mes parents sont des réfugiés politiques de la province Sud de la Nouvelle-Calédonie. Ils ont été victimes des Événements de 1984, la guerre civile opposant les indépendantistes et les non-indépendantistes sur l’archipel pendant quatre ans, et sont originaires des îles Loyauté. Je suis cependant née à Paris en 1984, car mon père voulait mettre notre famille en sécurité. Je suis allée en Nouvelle-Calédonie à mes 6 ans, et j’ai effectué nombre d’allers-retours entre l’archipel et la métropole des années durant. En première et en terminale, j’étais dans une période de revendication identitaire, car on ressentait les inégalités entre les Kanaks et les autres. Le lycée général était rempli de Blancs, tandis que lycée professionnel abritait une grande majorité de Kanaks. J’étais séparée de ma famille, en étant la seule dans le lycée général. J’avais envie d’aller avec mes semblables. La situation m’amenait à me poser beaucoup de questions sur ma place dans la société calédonienne.
Je me suis tournée vers les partis indépendantistes durant cette période, car ils prônaient l’unité, la lutte contre les inégalités, la solidarité. Mais je me suis rendu compte au bout de 4 à 5 ans qu’ils ne laissaient pas la place aux jeunes, c’était difficile de faire remonter nos idées. Mes parents étaient militants pour le parti le Rassemblement Pour la Nouvelle-Calédonie. Ils étaient moins sectaires, il était plus facile de communiquer et d’échanger avec eux, ils voulaient donner la parole aux jeunes et à tous. J’ai commencé à comprendre pourquoi la France était si importante pour la Nouvelle-Calédonie. Mes parents nous ont toujours présenté la France comme une terre salvatrice, eux qui avaient été bannis de leurs propres terres. En arrivant en province Sud en 1984, ils ont eu un véritable accueil, ainsi qu’un titre de propriété. La France nous avait sauvé et nous avait fourni un toit, alors que les indépendantistes prônaient l’entre-soi.
Que représente le référendum pour vous ? Peut-il être résumé à une question identitaire ?
Pour moi, le référendum est une prise d’otages, de même que celui d’avant. Je suis prise en otage par la vie politique en général. Nous n’avons pas envie d’aller trois fois aux urnes et de nous diviser. Ma génération n’a pas vécu les Événements de 1984 à 1988, nous avons vécu sous l’accord de Nouméa et ne connaissons que lui. À chaque fois que le référendum se prépare, nous sommes obligés de nous déchirer pour faire entendre nos idées et nos idéaux. Le référendum nous scinde en deux camps et rend notre existence difficile.
Bref, je me sens prise en otage, car je suis obligée de valider le contrat des « vieux », qui ont signé par le passé des accords pour trois référendums. Les « enfants des Événements », ma génération, n’a pas envie d’aller trois fois aux urnes pour se déchirer. Si auparavant les référendums portaient sur une question identitaire, aujourd’hui la question est différente. Nous retrouvons toutes les ethnies chez les indépendantistes et les non-indépendantistes, le débat n’est plus focalisé sur la question identitaire, mais sur le type de système économique, administratif et sur un mode de gouvernance à adopter.
Pensez-vous que le maintien du référendum au 12 décembre était une bonne idée ?
Les critiques sur la date et l’argument de la crise sanitaire ne sont pas valables. J’ai perdu des proches avec la crise, et nous avons procédé à des cérémonies funéraires selon notre culture, tout en les adaptant aux gestes – barrière et aux mesures sanitaires. Nous pouvons tout à fait nous adapter aux élections. Retarder les élections ne visait qu’à donner plus de temps aux indépendantistes de mener leur travail de sape.
Que craignez-vous en cas, fort improbable en raison de leur appel à la non-participation, de « oui » ?
Si la Nouvelle-Calédonie se retrouve sans la France, notre situation va devenir inconfortable. Les Chinois, d’abord, sont intéressés par le nickel de qualité, que nous possédons en quantité, et ils essayent de nous séduire par tous les moyens. Si les Chinois sont les prochains à imposer leur influence, ils pourraient prendre toutes nos ressources naturelles, comme dans les autres îles-pays du Pacifique. Nous serons leur proie. Nous sommes déjà isolés et nous ne faisons pas le poids face aux grands pays.
La qualité de vie et de l’enseignement, de même que la qualité des infrastructures de nos voisins du Pacifique, ne sont pas aussi performantes que les nôtres, Français. Si je vote « oui », j’imposerais une vie plus difficile à mes enfants. Avant la Covid, la Chine avait envoyé des Chinois pour visiter l’île (tous des hommes d’affaires, industriels et commerçants) pour faire une étude de faisabilité. Ils étaient prêts à signer un accord avec notre compagnie aérienne pour affréter 4 vols par semaine. Leur méthode consiste à venir d’abord en touristes puis à s’installer, on l’a bien vu dans les autres îles du Pacifique. Ils ont d’abord créé des emplois et une économie, mais leur installation durable a fait perdre des emplois et de l’argent aux îles. En Nouvelle-Calédonie, nous avons une Zone Économique Européenne qui est bien protégée, aussi les autres zones maritimes sont-elles plus prisées par les Chinois. Elles sont noires de bateaux, de pollution, et les habitants ont perdu une certaine qualité de vie et d’eau. Ils nous ont proposé de construire et d’investir dans des plans sociaux abordables, sans réclamer une réelle compensation. Ils ont un projet pour notre musée à un prix défiant toute concurrence, en faisant venir main-d’œuvre et matériaux. Heureusement que leur projet a été refusé. Nous avions vu qu’ils avaient accompli la même chose à Vanuatu, nous étions plus prudents.
Les indépendantistes parlent peu de cette influence chinoise, ils soutiennent les bénéfices tirés de la relation avec la Chine. Ils sont persuadés qu’ils pourront être plus sages que les autres îles du Pacifique, et je n’y crois pas.
Que ferez-vous lundi matin le 13 décembre, au lendemain du référendum ?
Je voudrais que tout le monde puisse être libre et responsable en allant voter le 12 décembre. Le peuple calédonien doit pouvoir écrire son histoire, pour notre génération et nos enfants. Je suis excitée d’être au 13 pour pouvoir enfin en discuter, de pouvoir échanger face à face et de voir quelles sont les solutions, loin des logiques de partis et de camp. J’aimerais faire des projets collaboratifs et des tables rondes sur l’enseignement, car l’école est le creuset de la société, nous devrions accorder plus d’importance à la nôtre pour réduire les inégalités. L’avenir d’un pays se trouve dans son éducation, il ne faut pas l’oublier.
Propos recueillis par Maud Baheng Daizey