Il est regrettable qu’il existe encore tant de résistances à la digitalisation de l’hôpital et au-delà, du système de santé, non pas parce qu’elle est en soi un nirvana sanitaire ou sociétal, mais par ce qu’elle est une évidence qu’il est déjà trop tard de regretter. La santé connectée s’imposera partout, et la France ne peut se permettre d’être à la traine, d’autant plus que cet outil offre d’extraordinaires opportunités, ne serait-ce qu’en matière de prise en charge sanitaire, comme de bien-être du patient. Cette digitalisation est aussi source de considérables économies budgétaires, tout en apportant une réponse, certes partielle, mais effective et fonctionnelle au problème des « déserts médicaux ».
En revanche, il est indéniable que si cette digitalisation n’est pas comprise, acceptée et parfaitement maitrisée par tous les acteurs de la santé, elle peut être perçue comme une contrainte, une source de lourdeurs, parfois comme un risque d’atteinte au secret professionnel, donc à la confidentialité de la relation entre praticien et patient.
Une condition essentielle et incontournable au développement de la santé connectée dans l’intérêt de tous les protagonistes et plus encore du patient est la formation initiale et continue des professionnels de santé. Ce n’est qu’ainsi qu’ils pourront s’approprier l’outil numérique et exploiter toute sa puissance. Santé connectée rime avec décloisonnement et par voie de conséquence, coopération en continu. La réduction de la fracture numérique conduit à réduire la fracture territoriale, et donc l’isolement du patient comme du praticien.
La formation des professionnels ne peut donc être exclusivement technique. C’est un état d’esprit qu’il faut acquérir, celui d’une relation naturelle à ces nouvelles technologies, qui n’exclut pas la dimension humaine, juridique et éthique. Lorsque l’on traite, manipule, transfère des données de santé, il faut être conscient que l’on touche à l’intimité de la personne, et que ces données sont considérées par les règlementations nationale et européenne (le RGPD) comme extrêmement sensibles. Chacun sait que les paroles s’envolent et que les écrits restent. Mais les écrits numériques voyagent à la vitesse de la lumière.
Des formations obligatoires, décentralisées et axées sur la coopération entre les entreprises de la Tech et les professionnels de santé.
La centralisation jacobine a cruellement démontré ses limites lors de la crise de la Covid. Aussi, si la décision de former tous les professionnels du secteur sanitaire et médico-social à la santé connectée doit être prise au niveau de l’État, dans le cadre du plan de santé publique nationale, son exécution ne peut être que territorialisée et notamment confiée aux régions, ne serait-ce que parce que les formations seront principalement dispensées au sein des CHU.
La formation initiale et continue à la santé digitale et connectée doit être une obligation générale. Un système de santé efficace et performant, respectant patients et professionnels ne peut tolérer de fracture numérique, a fortiori au sein d’un même établissement de santé où seuls certains professionnels maitriseraient l’outil.
C’est pourquoi il est impératif d’intégrer un module de eSanté à la formation initiale de tous les professionnels concernés, idéalement à ceux constituant « l’équipe de soins » au sens des articles L1110-12 et R1110-2 du Code de la Santé publique. Il inclurait un stage obligatoire et certifiant dans une entreprise de la Tech médicale, pour son plus grand bénéfice (une meilleure connaissance des métiers de la santé) et celle des futurs praticiens du secteur sanitaire et médico-social. Il est également souhaitable d’intégrer au parcours de formation de nouveaux diplômes universitaires, par exemple en matière d’intelligence artificielle.
Plus généralement, il est impératif d’améliorer la coopération et les partages d’expériences entre les fournisseurs de solutions numériques (fabricants et importateurs d’objets médicaux connectés, éditeurs de logiciels de gestion des dossiers médicaux, développeurs d’algorithmes d’intelligence artificielle, etc.) et les praticiens, notamment hospitaliers. Il n’est pas acceptable, comme on le constate parfois, que le praticien soit obligé de s’adapter à l’outil au point porter atteinte à sa relation avec le patient. Ce devrait être le contraire : l’outil s’adapte au praticien.
Quant à la formation continue, elle porte en l’espèce fort bien son nom, puisqu’elle doit se faire tout au long de la carrière des professionnels concernés, dans un domaine où la technologie est en perpétuelle mutation. Là aussi, le volontariat ne peut être de mise, comme c’est le cas des formations dispensées dans le cadre du CPF, le compte personnel de formation. La santé digitale et connectée est assurément celle de demain et, dans une certaine mesure, celle d’aujourd’hui. Il n’y a pas de débat sur la question, mais une impérieuse obligation de se donner les moyens de réussir pleinement la transition numérique du système de santé, transition dont la formation est une condition sine qua non. L’enjeu est si considérable qu’il faut aussi faire montre d’audace dans ce domaine, par exemple en y associant les demandeurs d’emploi, par le biais d’accords entre Pôle emploi et la région, le but étant le partage du savoir et des compétences.
Pour que les gouvernants s’engagent sur cette voie, il leur faut prendre conscience que la digitalisation de la santé est une révolution à l’échelle de la planète. Elle transforme en profondeur le parcours de soins : télémédecine, intelligence artificielle, objets connectés, thérapies digitales… La formation initiale et continue de toute la chaîne de soins, y compris médico-sociale, doit intégrer tous ces volets parce qu’ils sont intriqués et interdépendants.
Les effets de la digitalisation de la santé sont spectaculaires et dépassent le cadre de la relation praticien-patient pour toucher à la manière dont le citoyen appréhende le système de santé. L’hôpital ne sera plus ce sanctuaire impénétrable et cloisonné. Il s’insère dans un environnement permettant la prise en charge du patient où qu’il se trouve, à son domicile ou même en déplacement.
Albert Einstein disait : « dès que tu cesses d’apprendre, tu commences à mourir »
Nous sommes au début d’une ère nouvelle pour notre système de santé. La formation au progrès et à la révolution digitale est une nécessité absolue. L’affirmer ne suffira pas pour en devenir des acteurs majeurs, il faut la déployer. Les implications sont sanitaires, économiques et même géopolitiques. Formons sans faiblesse nos professionnels à la santé digitale et connectée, et commençons dès maintenant.
Patrice Cristofini