On commémore, en grande pompe, les 400 ans du baptême de Molière, lui qui a refusé d’abdiquer son métier de comédien malgré la menace de n’être point enterré « dans la Grâce de dieu ». Ce n’est qu’en 1820 que Louis-François Beffara, commissaire de police de Paris et passionné de théâtre, découvre, dans le registre de l’église Saint-Eustache la mention du baptême de Molière, le 15 janvier 1622, depuis, la date a été conservée pour célébrer le grand homme. Festivals, pièces en pagaille, rumeurs d’entrée au Panthéon, Jean-Baptiste Poquelin va sacrément faire parler de lui, comme auparavant il enflammait les gazettes à son époque. En effet, ses frasques, ses débâcles et ses réussites étaient déjà largement commentées sous Louis XIV.
Son succès reste intact quatre siècles plus tard, et ce, dans le monde entier. De Tokyo (les premières pièces furent traduites en japonais en 1892) à Marrakech, de New York à Edimbourg (où Molière avait le principal mérite de n’être pas Anglais), ses pièces continuent d’être jouées et de faire rayonner la culture française.
De plus, la diffusion de ses pièces à l’internationale a été accélérée par les instituteurs qui avaient emmené Molière dans leur besace pour aller « civiliser » les indigènes à l’époque coloniale.
« Ces populations locales se disent qu’un auteur qui parle de l’oppression, de l’abus de pouvoir, de crédulité du peuple, de toutes les formes d’autorité, des conséquences sur la société, mais aussi du patriarcat à travers la question du mariage arrangé, de la dote, de l’autorité des pères, c’est peut-être quelqu’un qui parle de la situation locale, en particulier de l’oppression coloniale », explique Martial Poirson, commissaire de l’exposition Molière à Versailles au micro de TV5 Monde.
Il faut dire que loin des vers élégants d’un Racine, la « langue de Molière » est celle du peuple qui se reconnaît dans les personnages de l’auteur. La servante gouailleuse, l’hypocondriaque, le valet roublard, le père de famille désemparé, les précieuses ridicules, les nobles sans scrupule… L’ambivalence du tapissier du roi devenu saltimbanque n’a de cesse de saupoudrer l’œuvre de Molière, entre esprit critique, pourfendeur des puissants et néanmoins courtisan du roi à qui il doit des conditions de travail exceptionnelles. Malgré son amitié pour Louis XIV, l’auteur du Tartuffe s’est mué en l’auteur républicain par excellence grâce à la dimension patriotique de son œuvre et à des leçons de civisme qui invitent à la réconciliation nationale.
Entre comédie burlesque et pathos, les pièces de Molière nous touchent. Féministe avant l’heure, comme le prouve L’École des Femmes, il a su donner aux dames une place de premier ordre. Les hommes y sont souvent mesquins, grotesques, perdus, tandis que la gent féminine les aide plus que de raison, les moque gentiment, les sauve aussi, les manipule parfois, les soutient toujours. De même, les plus riches ne sont pas forcément les plus futés, contrairement à ce que voulait l’époque.
Beaux-parleurs politiques (Le bourgeois gentilhomme), Harpagon de tout crin (L’Avare), clergé hypocrite (Tartuffe), courtisans méprisables (Le Misanthrope) ou médecins incapables (Le Malade Imaginaire), Molière n’épargne personne.
D’une actualité absolue, ses textes ne prennent pas une ride. Des beaux yeux de la Marquise qui font mourir d’amour le bourgeois gentilhomme au fait de devoir « manger pour vivre et non vivre pour manger » de l’Avare en passant par le « qu’allait-il faire dans cette galère ? » des Fourberies de Scapin, nous avons tous en tête quelques « molièreries ». Car les situations qu’il évoque avec tant de brio n’ont de cesse de s’appliquer, jour après jour. Nous avons récemment vu des docteurs jouer les savants, des misanthropes qui veulent qu’on les distingue (dans les urnes ?), d’autres encore qui souhaitent qu’on les flatte malgré leur nullité. Les siècles passent, les fondamentaux restent.
Laissons le mot de la fin au maître, tiré des Amants Magnifiques et dont la triste vérité frappera peut-être certains par sa modernité : « bien mentir et bien plaisanter sont deux choses fort différentes, et il est bien plus facile de tromper les gens que de les faire rire ».
Deborah Rudetzki