Depuis 30 ans, l’inflation n’était plus un problème en France. L’augmentation récente de l’indice des prix (+2,8 % en 2021) est redevenue un sujet d’actualité. Quelle en est la cause et comment l’interpréter ?
Les données très détaillées permettent d’éclairer ces questions : chaque mois, les enquêteurs de l’Insee relèvent 160 000 prix. L’Institut publie ainsi des indices aussi détaillés que celui du lait en poudre ou du chocolat.
En 2021, l’augmentation des prix n’a concerné que les produits énergétiques : + 50 % pour le gaz, + 37 % pour le fuel et + 20 % pour l’essence. Ces hausses importantes sont la conséquence de l’envol du cours du pétrole brut avec la forte demande mondiale et des tensions politiques chez les pays producteurs.
Les prix des autres biens de consommation ont stagné (produits laitiers, sucre, plats préparés, boissons) et même diminué (ordinateurs, téléphonie mobile, matériel médical).
La crise du pouvoir d’achat est donc concentrée sur les carburants et les produits énergétiques. Mais son impact est très sensible pour les ménages ruraux fort utilisateurs de la voiture individuelle ou à l’habitat mal isolé.
Peu d’économistes peuvent prévoir l’évolution future des produits pétroliers, mais l’histoire récente montre que les fluctuations peuvent être à la baisse comme à la hausse. En 1979, le prix du baril avait retrouvé son niveau d’avant la guerre du Kippour. Plus récemment en 2009 et 2016, son cours avait baissé de moitié.
Le débat sur les salaires
Ce renouveau d’inflation alimente le débat en France sur l’augmentation des salaires. La crise du Covid a mis en exergue les petits salaires des « professions essentielles » (soignants, mais aussi métiers de la vente alimentaire, du nettoyage, de la sécurité). Durant le confinement, tous les Français s’accordaient sur le manque de reconnaissance pour ceux qui assurent leurs besoins élémentaires. Avec la reprise d’activité, la pénurie de candidats pour les métiers difficiles (restauration, bâtiment,) conduit les employeurs à réévaluer les conditions d’embauche.
Faut-il maintenant généraliser ces hausses à tous les secteurs et tous les métiers ? Là encore l’histoire nous enseigne les dangers à éviter. Après la crise pétrolière de1973, la France a connu une hausse des prix à deux chiffres (14 % en 1980). L’indexation des salaires sur les prix (échelle mobile) avait enclenché une spirale « prix-salaires ». Les salaires s’alignaient sur les prix et les producteurs répercutaient ces augmentations sur les prix qui déclenchaient automatiquement d’autres hausses de salaire. En cessant cette indexation en 1985, la politique de la déflation compétitive du Premier ministre, Pierre Bérégovoy, avait enrayé la spirale. Par suite, la maîtrise de l’inflation a été la priorité de la Banque centrale européenne (BCE). Ce dogme a éclaté en 2020 avec le soutien monétaire à l’emprunt européen pour la relance. Pour certains, l’inflation est un moyen d’alléger le fardeau de la dette. C’est ce qui s’est passé après les deux guerres mondiales. La hausse des prix avait atteint 50 % par an entre 1948 et 1950.
Dans l’économie mondiale actuelle, c’est plus le différentiel d’inflation avec les autres pays qu’il convient de surveiller. En 2021, les prix ont moins augmenté en France qu’en Allemagne (5,3 %) et aux États-Unis (7 %) : les prix à l’exportation sont alors devenus plus compétitifs. Compte tenu du déficit commercial structurel — qui coûte des centaines milliers d’emplois chaque année — ce différentiel est une bonne nouvelle.
Une forte augmentation générale des salaires n’est peut — être pas la bonne solution macroéconomique. Elle ne favoriserait pas la consommation de ceux qui ont pu épargner pendant la crise (200 milliards d’euros).
Politiquement cette modération sera difficile à conduire. Les Français, si attachés à l’égalité, accepteront difficilement que les revalorisations soient accordées à d’autres, mais à leur propre profession.
François JEGER
Co-fondateur de l’Institut Chiffres & Citoyenneté