L’Amérique Latine est sûrement l’une des régions du monde les plus instables : politiquement, socialement, économiquement. La terre de Bolivar, de San Martin et du Che Guevarra a connu des turbulences ces dernières années, entre l’affaire Odebrecht, les Panama Papers, les Pandora Papers et surtout la pandémie de la COVID19. Autant de difficultés compliquées à surmonter pour des pays avec un taux de pauvreté de plus en plus important. À quoi peut-on s’attendre pour 2022 ?
L’année 2022 devrait être riche d’enseignements à plusieurs niveaux pour l’Amérique Latine et les Caraïbes. Premièrement, une grande mission attend la région, elle doit affronter la menace d’un coronavirus virulent avec un nouveau variant Omicron. Depuis son commencement, la pandémie de la COVID-19 a laissé des traces : 1,5 millions de personnes décédées, 47 millions de cas de contamination. Le nombre de décès du Covid représente presque 30 % du total des victimes, alors que la région qui compte seulement 8 % de la population mondiale.
Comme sur le continent européen, il n’y a pas d’approche régionale pour la lutte contre le coronavirus, ce qui ne facilite pas l’accès aux vaccins pour les 600 millions d’habitants. D’autant plus, une géopolitique des vaccins, se calquant sur les alliances internationales, est visible. Entre le vaccin cubain, chinois ou américain, les Etats de la région sont très divisés. Ce manque d’unité est à l’image de la politique régionale depuis une dizaine d’année. En dépit des initiatives prises par les instances internationales et des tentatives d’union comme la CELAC, l’échec est cuisant : l’Amérique Latine n’est pas une puissance unie avec une stabilité politique et sociale. Les différences culturelles et géostratégiques ne permettent pas de faire front commun, c’est le cas sur le secteur de la santé mais aussi dans d’autres secteurs comme l’agriculture.
Côté politique, le courant de pensée libéral est de plus en plus critiqué par les nouveaux dirigeants. Beaucoup de latino-américains souhaitent plus de souveraineté et d’égalité, dénonçant une corruption qui s’amplifie. Selon les chiffres de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepalc), environ 78 millions de personnes vivent dans des cas d’extrêmes pauvretés en 2021, soit 8 millions de plus qu’en 2019. On peut expliquer cette hausse par la récession économique survenue après le début de la crise sanitaire. C’est dans ces conditions difficiles que se sont déroulés des rendez-vous électoraux importants (Equateur, Pérou, Chili, Nicaragua et Honduras).
- Hausse du prix des matières premières
L’une des principales tendances en Amérique latine, c’est la hausse des valeurs des matières premières. La CEPALC a annoncé une hausse de 25% en moyenne de la valeur de ses exportations en 2021 sous le double effet de la hausse des prix des matières premières (+17%) et des volumes exportés (+8%), après une baisse de 10% l’an passé. Une tendance qui devrait se confirmer pour l’année 2022. Les principaux marchés de l’Amerique Latine sont marché chinois (+35%), suivi l’Union européenne (+23%) et des États-Unis (+19%).
Cette hausse des matières premières est à mettre en relation avec la récession régionale moyenne estimée à – 7%, selon la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes). Avec la baisse de fréquentations touristiques, certains pays doivent trouver un équilibre financier, ce qui explique la hausse du coût de certains produits comme le soja ou le maïs.
Une classe politique qui se renouvelle…
Plus jeune, moins expérimenté, moins attaché aux partis traditionnels, c’est le visage de la nouvelle classe politique en Amérique Latine. A l’image de la France avec le président Emmanuel Macron et le parti En Marche, il y a une volonté de certains politiques latino-américains (et aussi d’une partie de la population) de mener leur bataille idéologique en dehors des partis déjà existants, misant moins sur le jeu des alliances déjà existantes. L’exemple du Chili est très parlant. Les partis de la droite conservatrice et la gauche social démocrate ne s’imposent plus comme des leaders d’idées ou porteurs d’espoirs. Il y a une reconstruction des partis politiques qui s’opèrent, des thématiques qui s’imposent comme la souveraineté nationale et la participation citoyenne dans les débats publiques. Les élections au Chili et au Pérou en 2021 ont réellment montré à quel point la politique n’est pas figé comme on peut l’imaginer. Ces deux pays historiquement à droite n’ont pas choisi une alternance mais un changement « radical » qui s’inscrit dans une volonté de réduire les inégalités.
Après un mandat présidentiel chaotique avec un président qui renonce et trois qui démissionnent, le Pérou est en train d’écrire une nouvelle page de son histoire avec Pedro Castillo, professeur novice en politique , rassemblant les classes populaires les plus éloignées des élites du pays. Le président au chapeau va devoir confirmer la dynamique de sa campagne et l’application de son programme, ce qui n’est pas gagné d’avance avec un parlement où il ne possède pas la majorité. Son début de mandat est compliqué avec la gestion de la crise sanitaire et la démission de son ministre de l’Interieur. Comparé à Pedro Pablo Kuczynski, l’ancien président élu qui avait accordé la grâce à Alberto Fujimori, Pedro Castillo propose un autre modèle de société « nationaliste de gauche » , totalement en marge avec les autres candidats, rappelant un certain Ollanta Humala. 2022, c’est une véritable année test pour Castillo, notamment pour trouver des alliances au sein du parlement resté à droite.
Au Chili, le processus de réécriture de la Constitution a poussé la jeunesse dans les urnes, mettant ainsi un terme à la sombre époque de Augusto Pinochet. Gabriel Boric, le futur président du Chili, qui sera investit le 11 mars prochain au Palais de la Moneda, fait partie de ces jeunes qui se sont orientés vers la politique pour un changement. Leader des manifestants étudiantes en 2011, député sans étiquette, Gabriel Boric aura la dur tâche d’affronter la cinquième et sixième vague du coronavirus. Celui qui veut installer un État-providence espère mettre fin au système 100% privé présent dans plusieurs secteurs au Chili. Ça sera l’une des discussions dans le débat publique au Chili en 2022, tout comme le projet de nouvelle constitution qui sera soumis à un référendum. Depuis juillet 2021, l’Assemblée Constituante, composée de 78 citoyens et 77 citoyennes élues en mai à l’issue d’un processus démocratique inédit, travaille sur la nouvelle Constitution qui doit être appliquée prochainement.
Élections au Brésil et en Colombie
Outre les élections présidentielles au Costa Rica le 6 février prochain, deux grands rendez-vous seront au cœur de l’actualité : les présidentielles en Colombie le 29 mai et les présidentielles au Brésil le 2 octobre prochain. Les duels Gustavo Petro – Ivan Duque en Colombie et Jair Bolsonaro – Lula Da Silva au Brésil symbolisent la division des sociétés latinoamericaine. Une réelle rupture politique : d’un côté, un modèle socialisme qui revient sur le devant de la scène en Amérique Latine, de l’autre, un modèle libéral ou néolibéral en perte de vitesse. C’est une tendance qui devrait se remarquer en 2022 comme ce fut le cas en 2021 au Chili et au Pérou. Sur le plan international, ces élections peuvent rebattre le jeu géopolitique présent depuis plusieurs années, notamment au niveau des alliances avec des puissances influentes de premier plan comme la Chine ou la Russie.
Au Brésil, le 2 octobre aura lieu une méga-élection, au cours de laquelle le président, le vice-président, les nouveaux représentants au Congrès national, les gouverneurs et vice-gouverneurs des États, les Assemblées législatives des États et la Chambre législative du District fédéral seront élu. Le Brésil est un pays continent, moteur pour l’économie de la région. Aujourd’hui, des puissantes multinationales sont présentes dans de nombreux secteurs de l’économie brésilienne. Les multinationales contrôlent 90% de la production automobile (Ford, Renault) et de l’industrie pharmaceutique. Elles contrôlent aussi 70% de la production électrique et électronique ainsi qu’une grande partie de la production pétrolière et agroalimentaire (BSN, Danone). Le secteur agricole est très puissant, notamment le café et le soja. Au delà des soutiens politiques dans les Etats fédéraux, le secteur agroalimentaire et industriel a un poids important. Certaines entreprises sont devenus méfiantes avec la politique de Jair Bolsonaro attentiste avec les accords Mercosur-UE. Une guerre médiatique devrait donc avoir lieu en 2022 entre les candidats insistant sur la sécurité et la souveraineté nationale. Elle a commencé en 2021 avec des sondages qui ne sont pas favorables à l’actuel président. Un constat : le président d’extrême droite a atteint des records d’impopularité au Brésil, en raison de sa gestion de la pandémie, qui a fait plus de 619.000 morts dans le pays.
La Colombie, alliée historique des États-Unis dans la région, a du faire face à des manifestations importantes en 2021 contre la réforme fiscale du gouvernement. Des scènes de violences avait alors éclaté dans plusieurs villes du pays. Sur la même lignée que le Pérou, la Colombie connaîtra un changement politique si la jeunesse se mobilise aux urnes. Une chose qui est loin d’être sûre car beaucoup de Colombiens n’ont plus confiance envers les classes politiques. Les Colombiens se rendront d’abord aux urnes le 13 mars, date à laquelle des élections auront lieu pour renouveler les deux chambres du Congrès. 16 nouveaux sièges seront occupés par les victimes du conflit armé avec les FARC. « La campagne électorale en vue des elections législatives et présidentielles démontre que le système démocratique colombien fonctionne. Des candidats de tout bords sont représentés. La Colombie est un pays marqué par une diversité : les villes et notamment Bogota d’une part et les campagnes. Il est important de rappeler que la Colombie a été lourdement frappée par la COVID 19 : effets sur la realite economique et sociale. Des tensions sont apparues dans certaines villes comme Cali et Bogota, entre 2019 et 2020. L’autre aspect reste l’immigration vénézuélienne . Avec près de deux millions de venezueliens presents ou qui ont transité par la Colombie, le marché de l’emploi a été fortement touché », explique Pascal Drouhaud, spécialiste de l’Amerique Latine, président de l’association LatFran. Le 19 mai, les Colombiens éliront les nouveaux président et vice-président du pays. L’actuel président Ivan Duque retrouvera son adversaire du second tour, Gustavo Petro, ancien maire de Bogota. Le match des idées entre la gauche et la droite risque d’être serré comme c’était le cas en 2018. Parmi les 40 candidats en lice, on retrouve l’ancien maire de Medellín Sergio Fajardo et l’ancien maire de Bucaramanga Rodolfo Hernandez. Des risques de débordement et violences ne sont pas à exclure en marge du scrutin. Le crime organisé et les narcotraficants pèsent sur les élections, notamment les accords de paix avec le groupe des FARCS signé en août 2016. « Depuis une vingtaine d’année, je constate deux pôles. Celui de la capitale, Bogota, qui essaye de trouver un modèle inclusif axé sur les questions environnementales. Les élections s’inscrivent donc dans un contexte particulier : la pandémie avec ses conséquences politiques et l’immigration vénézuélienne massive. », ajoute Pascal Drouhaud, auteur du livre « FARC : Confessions d’un guérillero » (Editions Choiseul)
Et donc…
L’année 2022 portera donc les couleurs du drapeau brésilien et colombien où les élections présidentielles seront décisives autant le plan régional que international. Le Brésil et la Colombie sont deux alliés deux Washington au niveau bilatéral. Si ces deux pays advenait à changer de couleur politique, ça serait un véritable tournant pour la géopolitique de l’Amerique Latine et des Caraïbes. A suivre également, les élections générales à Haïti, les régionales et municipales au Pérou et au Mexique.
Guillaume ASSKARI
Chroniqueur Amérique Latine
Opinion Internationale