Alors que des troupes russes se massent à la frontière ukrainienne, que le variant Omicron contamine chaque jour des centaines de milliers de Français et provoque le décès d’environ quatre personnes pour mille contaminations (soit 263 le 27 janvier 2022, ce qui n’a rien de négligeable), que l’élection à la présidence de la République a lieu dans moins de trois mois, pour l’instant, les engagements des candidats se limitent à quelques slogans réducteurs ; tandis que les déficits publics se creusent au point que personne ne sait comment ils pourront être remboursés (on parle de 2031 pour équilibrer les comptes de la sécurité sociale), le Parlement s’intéresse aux additifs nitrés dans la charcuterie en général et le jambon en particulier. Plus précisément, les parlementaires débattent de la proposition de loi N° 4830 déposée par le député du Loiret, Richard Ramos (MoDem), et le Mouvement démocrate. Elle est relative à « l’interdiction progressive des additifs des produits nitrés dans les produits de charcuterie ».
Ce n’est pas tant l’aspect restreint de cette question qui nous préoccupe, car, depuis la réforme de la constitution de 2008, le Parlement nous a habitués à des « résolutions », c’est-à-dire des conseils au gouvernement, sur des sujets divers. Ils vont du risque d’épuisement administratif (contre), la protection des abeilles (pour), le recyclage des masques de protection (pour), la pollution des océans (contre) ou encore la reconnaissance de l’endométriose comme maladie de longue durée (encore pour). Tout cela ne mange guère de pain et d’ailleurs, sauf quand il s’agit de lois mémorielles ou de repentance, la presse n’en fait jamais état. Ce dont il s’agit ici n’est pas une résolution, mais bien une proposition de loi. Son importance n’est pas tant l’avenir de la charcuterie (quoique !), mais le fait qu’elle marque une profonde dérive de notre démocratie qui s’enfonce chaque jour dans la confusion des genres. J’estime en effet que si le Parlement peut interdire ces produits, il n’a aucune légitimité pour débattre scientifiquement de cette question.
En effet, les controverses scientifiques ne se tranchent pas par un vote, car : il ne s’agit pas de croyance, d’opinions, de valeurs, mais par des preuves empiriques. Autrement dit, si le Parlement a été et est dans son rôle pour débattre de lois qui ont pour objectif de protéger la population de tel ou tel produit, s’il est même aujourd’hui juridiquement légitime pour interdire, par prétendue « précaution », un conservateur dont l’usage bénéfique a été amplement démontré, il ne doit pas entrer dans le débat scientifique. Or, dans ce cas, il prend bien le parti de Foodwatch, Yuka et de la Ligue contre le cancer pour habiller d’un vernis scientifique une décision on ne peut moins fondée. Ce faisant, il ne tient d’ailleurs aucun compte d’un excellent travail de l’Académie d’agriculture1 de France, publié depuis notre dernière chronique sur ce sujet, il montre pourtant que les arguments invoqués par ces Parlementaires ne reposent sur aucune base solide. Les conclusions de l’Académie d’agriculture sont précises. Les lecteurs sceptiques et/ou intéressés pourront se référer à cet excellent rapport s’ils ont, outre du temps, une réelle compétence en épidémiologie et en biochimie, mais la conclusion principale du rapport est simple et claire.
« En conclusion : —Le risque soupçonné d’augmentation du cancer colorectal lié à l’utilisation des nitrites comme additifs dans les charcuteries aux doses autorisées par la réglementation n’est pas scientifiquement établi par les études toxicologiques et épidémiologiques disponibles à ce jour. – L’autorisation d’utilisation des nitrites dans les charcuteries repose sur une analyse bénéfice risque. – Les risques liés à la présence de Clostridium botulinum sont bien connus et graves puisque parfois mortels ». Autrement dit : il n’est pas du tout démontré que les nitrites et leurs dérivés biochimiques accroissent l’incidence des cancers colorectaux chez l’homme, en revanche la toxine botulique provoque des intoxications mortelles, il faut donc en protéger les consommateurs, ce que font les nitrites.
Ce débat à l’Assemblée nationale est d’autant plus étonnant que le Gouvernement a demandé à l’ANSES2 de lui remettre aussi un rapport sur ce sujet. Cette autorité indépendante le lui remettra avant l’été. Passons une fois encore sur le peu de cas que ces députés font du travail de l’Académie d’Agriculture mondialement réputée et comme Julien Denormandie, le Ministre de l’Agriculture, attendons. Car, pour l’instant, le pire a été évité.
En effet, les députés ont suivi le Gouvernement en réécrivant le projet de loi, grâce à une série d’amendements. Ils proposent notamment qu’un an après la promulgation de cette loi et, selon l’avis de l’ANSES, un décret devra fixer « une trajectoire de baisse de la dose maximale d’additifs nitrés au regard des risques avérés pour la santé humaine ». Il pourra aussi « fixer une liste et un calendrier » d’interdiction de commercialisation de produits incorporant ces additifs. La nouvelle proposition de loi sera débattue à l’Assemblée nationale ce 3 février.
Mais revenons en quelques mots sur le fond. En 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé la viande transformée, notamment la charcuterie, comme cancérogène (catégorie 1). Pour parvenir à un tel résultat, le CIRC utilise des études de cohorte et associe la prévalence des cancers et le fait de manger de la viande transformée. Il constate que plus on mange de ces produits, plus la probabilité d’avoir un cancer colorectal augmente. Certes, ce résultat est indéniable, mais les gros mangeurs de charcuterie ne sont pas particulièrement minces, ne mangent pas nécessairement cinq ou sept fruits et légumes par jour, ne marchent pas tous quotidiennement pendant une demi-heure, ne boivent pas que de l’eau… autrement dit cette corrélation n’est pas une causalité, d’où la conclusion de l’Académie d’agriculture.
Par ailleurs, le CIRC considère que les nitrites ingérés sont des cancérogènes probables (catégorie 2A) comme d’ailleurs la majorité des substances étudiées par cet organisme. Là encore, je renvoie le lecteur à la littérature scientifique citée dans le rapport de l’Académie d’agriculture qui conclut que ce lien n’est pas démontré dans un tube à essai alors qu’en revanche, aux doses utilisées, il n’a jamais été prouvé que ces sels avaient un effet pathogène chez les mangeurs de jambon, par ailleurs bien protégés du botulisme par cet extraordinaire conservateur.
Enfin et peut-être surtout, ces Parlementaires ignorent que notre organisme produit en permanence des nitrites, et que, selon une étude randomisée néerlandaise, un apport élevé en végétaux riches en nitrates qui vont se transformer en nitrites dans la cavité buccale, diminue significativement la pression artérielle chez des patients hypertendus.
Dans ce domaine aussi, on voit apparaître les « chercheurs-militants » qui, en prenant fait et cause pour ce qu’ils pensent être le bien commun, oublient la neutralité axiologique du chercheur. Et, quand leurs hypothèses ne sont pas confirmées sur la paillasse de leur laboratoire et dans les revues scientifiques, recourent aux politiques pour faire prévaloir leur croyance. Il en est d’ailleurs ainsi du glyphosate dont nous réentendrons parler, faute d’avoir trouvé des produits ou des façons culturales qui permettraient de s’en passer.
On doit en outre constater le peu de confiance des Parlementaires dans les nombreuses instances françaises et européennes qui furent conçues par eux pour s’assurer que les produits alimentaires sont sains. On peut aussi souligner le peu de connaissance qu’ils ont en nutrition. Ce qui compte en la matière ce ne sont pas des traces infinitésimales d’éventuelles toxines, dont la plupart d’ailleurs se retrouvent à l’état naturel dans les fruits et légumes en plus grande quantité (c’est notamment le cas des nitrates qui ne sont donc pas des toxines), mais l’alimentation des Français compte tenu de leur âge, de leurs poids, de leur taille, de leur revenu, de leur pratique d’exercice physique…
Le principe de précaution devrait d’abord s’appliquer aux débats parlementaires qui, sans preuve, invoquent le « bien » et produisent d’importants dégâts collatéraux le jour où est votée leur proposition de loi.
Jean de Kervasdoué
Cet article, mis gracieusement à disposition par l’auteur est paru dans le Point le 3 février 2022 : https://www.lepoint.fr/invites-du-point/kervasdoue-la-guerre-du-jambon-03-02-2022-2463275_420.php
1file : ///E : /Nitrites/RAPPORT%20NITRITES%20CANCER%20COLORECTAL-VF%20081120 — rq%20JPL%20 (1) .pdf
2 Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
3 Cindy M T van der Avoort et al. ; “Increasing nitrate-rich vegetable intake lowers ambulatory blood pressure in (pre) hypertensive middle-aged and older adults ; The Journal of Nutrition, September 2021.
4 Les nitrites de la charcuterie ne représentent que moins de 1 % de ceux qui sont dans l’estomac ! 80 % sont endogènes, c’est-à-dire produits par l’organisme.