Dans une tribune dans Le Monde, Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris, ami d’Opinion Internationale, alerte contre « l’engrenage de la haine contre les musulmans ». Le leader de la communauté musulmane en France, producteur de l’émission du service public Islam le dimanche matin sur France 2, en appelle au bulletin de vote des citoyens de confession musulmane.
Un appel à un vote communautariste pour faire barrage à Éric Zemmour ?
La tribune de Chems-Eddine Hafiz nous inquiète, car elle dénonce et nourrit l’amalgame qui serait fait par la société française entre islam et islamisme. Ce n’est tout de même pas la faute de Zemmour si une majorité de jeunes Français de confession musulmane considèrent la Chariah comme supérieure aux lois de la République et si la communauté musulmane est restée trop passive dans la lutte sans merci qu’elle aurait dû mener, au-delà des condamnations de rigueur dans les pires moments d’attentats terroristes, contre les compromissions et les complicités avec des doctrines de rupture et de haine portées par de nombreux extrémistes issus de leurs rangs.
Le drame est que des modérés comme Chems-Eddine Hafiz (bon, il était tout de même l’avocat de la Grande Mosquée de Paris lorsque celle-ci en 2007 s’était constituée partie civile contre Charlie Hebdo dans l’affaire des caricatures) n’ont plus guère d’emprise, d’autorité sur la jeunesse musulmane. Le Conseil Français du Culte Musulman (le feu CFCM), que le Recteur a dirigé pendant de nombreuses années, a été enterré par le gouvernement il y a quinze jours.
Nos compatriotes musulmans, malgré la très mauvaise publicité que leur font leurs coreligionnaires surreprésentés dans la délinquance de rue, et ceux enclins au séparatisme et à l’enfermement identitaire (la majorité des jeunes, selon plusieurs études), sont de plus en plus intégrés dans la société. Partout, dans les entreprises, les administrations, les services publics, des Français musulmans ont trouvé leur place. Et pourtant, les islamistes et leurs alliés islamogauchistes s’évertuent à leur retourner le cerveau à coup de victimisation outrancière et grotesque.
Si les statistiques ethniques sont interdites en France, plusieurs études confirment la réalité d’une mutation démographique, conséquence d’une immigration incontrôlée et d’une natalité plus forte parmi les Français d’origine africaine. Cette immigration a été longtemps sous-qualifiée et ne répondait donc pas aux besoins du marché du travail, l’intégration des arrivants ne pouvant se faire. Il s’en est suivi ghettoïsation et pauvreté, deux caractéristiques qui conduisent naturellement à la délinquance. Il n’y a aucune spécificité musulmane dans ce schéma classique et universel.
Pourtant, il en existe bien une : la dimension identitaire d’un islam non sécularisé, compromettant toute assimilation, même partielle. Le problème n’est pas seulement social, comme veulent nous le faire croire les divers candidats de gauche et d’extrême gauche à la présidentielle. Dès qu’un quartier, a fortiori une ville, comporte une importante communauté musulmane, les pseudo-imams salafistes ou fréristes, souvent venus de l’étranger, commencent à y tisser leur toile, comme ils le firent en terre d’islam il y a cinquante ans.
Alors oui, il faut lutter avec force contre toutes les formes de racisme et de discrimination, mais avant d’accuser les autres d’en être les seuls responsables, et de laisser entendre que le phénomène serait généralisé, il faut aussi balayer devant sa propre porte.
Ce n’est pas faire injure à l’Islam, bien au contraire, que d’en appeler à une réforme profonde, à une sécularisation de l’Islam. Que pense notre ami Chems-Eddine Hafiz du statut du dhimmi, toujours en vigueur en terre arabo-musulmane, un statut intrinsèquement raciste qui fait d’un non-musulman un sous-citoyen ? Que pense-t-il de ces prêches relayés sur YouTube de l’imam de Toulouse, qui s’abrite derrière des versets du Coran minutieusement choisis pour appeler à la haine des juifs, « cachés derrière chaque arbre », voire à leur meurtre ? Où trouve-t-il le verset du Coran qui enjoint les femmes à porter un voile religieux ? Que pense-t-il des dernières statistiques sur le racisme ? On dénombre bien plus d’actes antisémites que d’actes antimusulmans (mais ces derniers sont en hausse), alors que la population juive est au moins vingt fois moins nombreuse que celle de confession musulmane. Quant aux actes antichrétiens, ils sont les plus nombreux, en valeur absolue.
Entre islamisme et délinquance, trop de musulmans s’acharnent à nourrir tant l’extrême droite que le rejet ou la peur de l’islam. Un amalgame en entretient un autre, et ce n’est pas ce genre de tribune qui va améliorer le climat ambiant.
La tribune de Chems-Eddine Hafiz n’est pas un appel aux citoyens à voter, ce qui serait louable, mais un appel aux musulmans à voter, ce qui devient un appel communautariste.
Certains représentants de la communauté juive, à commencer par le CRIF, ont été plus directs et ont réagi de manière plus radicale encore, s’en prenant vigoureusement à Éric Zemmour, qu’ils voient comme le diable en personne. Mais rien n’indique que leur appel sera suivi au sein de la communauté juive. De la même manière, le vote communautariste n’est pas acquis, s’agissant des Français de confession musulmane. Contrairement à ce que pense Chems-Eddine Hafiz ou Jean-Luc Mélenchon, ils sont nombreux à en avoir assez de se laisser stigmatiser et amalgamer. Ils sont Français, sécularisés et libres. Leurs parents sont venus chercher en France une terre où l’archaïsme religieux n’avait pas voix au chapitre. Aujourd’hui, leurs filles sont de plus en plus nombreuses à se voiler, alors que du Maroc à l’Iran, en passant par la Turquie et les Émirats, les jeunes femmes aspirent à arracher leur voile.
Appeler à voter ? Oui, sans hésitation. Le faire pour « stopper l’engrenage de la haine contre les musulmans », certainement pas. En tout cas pas de cette manière, en taisant certaines causes profondes du racisme et de la méfiance qu’inspirent effectivement les musulmans à tant de Français, pourtant nullement racistes.
Les musulmans de France, comme les juifs et les autres confessions, n’ont pas de mots d’ordre à recevoir de représentants religieux ou cultuels. C’est aussi cela la laïcité à la française.
Michel Taube