Qui est Docteur Paper ? Entre voyage et architecture, dessin et origami, une balade dans les œuvres d’un artiste qui propose une vision du monde à travers ses plus fameux bâtiments.
Le Grand Tour est une sélection des œuvres de l’illustrateur nantais Docteur Paper : l’événement porte un regard patrimonial sur la série Travel With Me dont l’artiste célèbre les 10 ans cette année. Un tour de l’architecture des villes du monde capturées au cours de ses voyages, que l’exposition accompagne du récit qui a façonné l’évolution de ces villes. De la petite à la grande ville, de l’art roman au style international… Quels sont les marqueurs architecturaux qui composent nos villes ? Comment l’histoire nous les a-t-elle légués ? Que retient-on de nos déplacements ? Qu’est-ce qui fonde l’imaginaire d’une cité ? Autant de questions qui peuvent trouver un début de réponse dans les réalisations de Jérôme Baillet, allias Docteur Paper. Jérôme Baillet s’est construit patiemment, guidé par la passion du dessin qui l’anime. Durant ses premières années, il découvre, expérimente, apprend. De l’esquisse à la peinture, du collage à la création de mobiliers, l’artiste tâtonne, cherche un style qui le caractérisera et lui permettra de s’exprimer. Très tôt, il choisit d’animer le papier, dessinant sans relâche et découpant au scalpel des feuilles qui deviendront ses premiers Paper toy. Une technique proche de l’origami, un outil et un goût pour le travail chirurgical qui lui donneront son nom de scène : Docteur Paper. Infatigable globetrotteur, l’illustrateur dessine au feutre, d’un trait précis, les items des villes qu’il déniche. Architecture, trame urbaine, véhicules, ouvrages d’art ou encore enseignes publicitaires marquent la mémoire de ses voyages et participent à livrer une vision patrimoniale de la ville. Au-delà de l’œuvre, c’est un instantané qu’il nous fait découvrir, une histoire qu’il nous raconte. Du dôme géodésique de la Biosphère à Montréal aux rues étroites du vieux Paris, de la célèbre « Chaussure de ski » de l’architecte Christian de Portzamparc à Lille à la vie trépidante du centre d’Osaka… Plus qu’une invitation au voyage, les dessins en noir et blanc et le sens du détail de l’artiste plaident pour une pédagogie architecturale.
Car, à l’origine de l’exposition se trouve une réflexion : « Et si les œuvres de Docteur Paper métamorphosaient le support d’une histoire patrimoniale et architecturale des villes qu’il représente ? »Par un travail complexe sur les perspectives et juxtapositions, l’illustrateur dévoile les différentes strates historiques des villes qu’il visite. Tour à tour, les bâtiments deviennent révélateurs de la croissance industrielle, des affres de l’histoire militaire, de la diffusion d’un courant artistique et même les marqueurs d’un développement démographique difficile à maîtriser. Quand l’artiste représente Lisbonne, il couche sur papier une architecture symbole de la puissance maritime et du carrefour culturel qu’a été le Portugal durant des siècles : du patrimoine mauresque au style manuélin, de sa reconstruction après un séisme aux infrastructures qui enjambent le Tage. À New York, le dessin du célèbre Chrysler Building nous rappelle la vague Art déco des années 1920, partout dans le monde. « À Bordeaux, c’est la diversité architecturale qui marque. Sous le regard bienveillant du pont Jacques-Chaban-Delmas, prouesse d’ingénierie de la fin des années 2000, c’est une ville foisonnante qui prend forme. En s’arrêtant quelques traits plus loin, l’œil averti ne passera pas à côté des réservoirs d’eau en bois, placés sur les toits, révélateurs d’un certain pragmatisme. L’architecture noueuse de la très touristique Cité du Vin, imaginée par l’agence XTU, oppose alors ses courbes à la rigueur classique de la Place de la Bourse, explique Thomas Blancart, le commissaire de l’exposition. C’est aussi cela les créations de Docteur Paper, un guide d’architecture illustré où chaque bâtiment vient prendre place dans son contexte. Une représentation qui efface les grands espaces pour nous livrer une vision de la ville nous rappelant comment ces patrimoines cohabitent et se complètent ».
Les 24 villes incarnées sont donc accompagnées de textes, en rapport avec l’œuvre, retraçant leur histoire. L’occasion d’aborder la diversité des matériaux de construction, la diffusion des courants architecturaux, les grands symboles économiques des villes présentées ou les marques des événements majeurs de l’histoire autant que des anecdotes qui ont fondé leur image.
Au sein de son atelier, l’illustrateur développe des projets personnels et produit de nombreuses commandes. Pour la marque de vêtements Courir pour laquelle il célèbre l’architecture parisienne ou pour les Galeries Lafayette de Nantes, qui lui demandent de retracer 150 ans d’histoire en illustration, jusqu’aux papeteries Quovadis qu’il habille de l’identité visuelle de sa série Travel with me. Nous avons particulièrement apprécié de voir, au cœur de l’exposition, un vaste module permettant de passer de la deuxième à la troisième dimension. L’artiste livre une ville imaginaire, en pliage de papier, faisant se côtoyer des bâtiments aux styles et à l’architecture parfois opposés. Ville recomposée et fantasmée, elle donne à voir une cohabitation patrimoniale inédite. Et pour poursuivre la rêverie, des espaces sont laissés libres et seront complétés par les créations d’enfants réalisées durant des ateliers…
Deborah Rudetzki