Accusé de propager une vision extrémiste des quartiers, le film sorti l’été dernier retrace l’histoire de trois brigadiers franchissant parfois la ligne jaune pour obtenir des résultats. Jusqu’au jour où le système judiciaire et les quartiers nord de Marseille se retournent contre eux.
« Zones de non-droit, caves à caïd, réservoir d’islamistes… » À l’approche d’une présidentielle où le discours des candidats de droite cible et ciblera, notamment, la criminalité latente dans les quartiers, le film-documentaire de Cédric Jimenez a pris le parti de placer « le curseur encore plus haut », si on en croit ses détracteurs.
Dans son film Bac Nord, sorti le 18 août 2021, les caméras du réalisateur capturent un quotidien extrêmement rude. Du côté des « flics » d’abord, forcés de redoubler de violence pour atténuer celle qu’ils subissent, mais aussi pour les délinquants, dont la quasi-impunité efface toute perspective de stabilité. Radicale, l’immersion est à mi-chemin entre l’étude de la criminalité et le film à résonnance politique. Ce qui lui vaut l’intraitable bilan « d’aller trop loin », d’après une partie de la critique, dans la représentation des quartiers.
Tandis que la candidate LR Valérie Pécresse « veut traquer [ses] criminels au Kärcher » en cas d’élection, Bac Nord dévoile des scènes d’une rare violence où trois policiers se font poursuivre par une légion de voyous. De quoi alimenter un peu plus la haine des Français envers les zones marginalisées.
Il faut ressortir le kärcher qui a été remisé à la cave par Hollande et Macron depuis plus de 10 ans.
Il est grand temps de nettoyer tous ces quartiers qui sont devenus des zones de non-droit. Je veux traquer les caïds, harceler les voyous et punir les criminels. #Pécresse2022 pic.twitter.com/5PIbgIgF0x
— Valérie Pécresse (@vpecresse) January 6, 2022
Un succès repris par l’extrême droite
Parce qu’aujourd’hui plus que jamais, diffuser une projection à consonance politique implique une guerre d’opinions, et Bac Nord en est un exemple flagrant en pâtissant de son succès. À droite toute, des politiciens ont multiplié les références au polar pour étayer leur argumentaire sur les banlieues. À l’instar de Marine Le Pen sur Twitter ou Eric Zemmour, lors de sa confrontation avec Jean-Luc Mélenchon, le 23 septembre 2021, s’indignant :
« Vous accusez les policiers d’être des pousse-au-crime, d’être racistes. Ils sont agressés, on leur tend des guets-apens, ils sont insultés, on leur jette des cocktails Molotov dans leur voiture pour les brûler comme des poulets », a protesté le polémiste avant de demander au chef de file des Insoumis « s’il avait vu Bac Nord ? »
Et certains persistent à dire que le film "Bac nord" ne reflète aucune réalité…
MLPhttps://t.co/WYlK3tuisK— Marine Le Pen (@MLP_officiel) October 5, 2021
« Un film reste un film »
Son producteur Cédric Jimenez a évoqué « une récupération politique », rappelant en octobre dernier « qu’un film reste un film », même s’il s’appuie d’une histoire vraie. Mais le film n’est peut-être pas toujours compris tel que le cinéaste le souhaite. En 2018, 18 policiers phocéens de la Brigade anticriminalité (BAC) avaient été placés en garde à vue pour trafic de drogue, faisant éclore un scandale dont le réalisateur s’est librement inspiré pour tourner son film.
De plus, l’œuvre prend autant la défense des policiers, en soulignant tout de même qu’ils sont parfois eux-mêmes hors-la-loi, que celle des citoyens, contraints de vivre au cœur de cette insécurité insupportable.
« À force de tambouriner le message, les gens pensent que c’est vraiment comme ça. […] Si un film devient un argument de campagne sur la sécurité, c’est déplorable », a analysé l’artisan de Bac Nord.
Un point de vue discrédité par les locaux
Dans le même sens, le rappeur Soso Maness, originaire des quartiers nord de Marseille, a tenu à rectifier le tir. Selon lui, « c’est la Bac Nord qui fait la loi ». Pas l’inverse. L’artiste relègue par la même occasion le film au rang de « grosse merde », sans toutefois étayer son argumentaire.
Il s’était en effet exprimé avant la sortie du film sur la réalité des quartiers nord. Mais également sur la mainmise et le manque de compétences de la Brigade anticriminalité au sein de la cité phocéenne, dans l’émission Le QG, aux côtés d’un membre du GIGN.
On ne peut néanmoins s’empêcher de penser que, globalement, les moyens et la formation manquent à la police pour exercer correctement leur travail, sans mettre à mal la sécurité de ceux qu’ils sont censés protéger.
Alors que les avis s’opposent et divisent toujours, Bac Nord n’est coupable que d’être porteur d’une idée à contre-courant dont les preuves de véracité restent à prouver, comme le suggère la phrase phare du film : « Tu ne sais rien des quartiers Nord ».
Noé Kolanek