Comparaison n’est évidemment pas raison, mais celle-ci fut entendue sur les plateaux de télévision. Volodymyr Oleksandrovytch Zelensky, humoriste et acteur de cinéma que l’on peinait à prendre au sérieux, et que Vladimir Poutine, monstre froid sans aucun humour, n’a cessé de mépriser (mais qui le maître du Kremlin n’a-t-il méprisé ?), est aujourd’hui comparé aux plus grands résistants de l’histoire. Le nouveau héros de Kiev, personne n’y croyait, sauf peut-être son peuple. En 2019, il fut élu au second tour avec 73,2 % des voix, avec comme principale promesse de lutter contre une corruption qui gangrénait l’Ukraine comme elle gangrène aujourd’hui la Russie. Un autre engagement fut de préserver la paix, fût-ce au prix de sacrifices territoriaux.
Même si ces deux engagements n’ont pas été tout à fait tenus, Volodymyr Zelensky a fait mieux : il incarne l’ancrage européen de l’Ukraine.
C’est que l’homme devenu d’Etat n’a jamais été un pitre ni une marionnette. Il fut aussi producteur, réalisateur, scénariste. Aujourd’hui, il co-écrit le scénario de la guerre d’Ukraine, qu’il subit avec son peuple. Il résiste au maître du Kremlin, qui menace le monde de son gourdin nucléaire.
Volodymyr Zelensky est décrit comme un nazi par Vladimir Poutine, dont la perfidie tourne au ridicule, le président ukrainien étant juif. Le président ukrainien, par ailleurs russophone, n’a jamais été va-t’en guerre, œuvrant depuis son accession au pouvoir en faveur d’un cessez-le-feu au Donbass, convoité par Moscou par le truchement des séparatistes pro-russes. Cela le conduisit même à envisager d’accorder l’autonomie à cette région, conscient de l’attachement à la Russie d’une importante fraction de sa population. Cela lui fut reproché par les tenants d’une rupture franche avec Moscou au bénéfice d’une adhésion à l’OTAN.
Se faisant, Volodymyr Zelensky a peut-être trop cédé aux séparatistes prorusses, donc à Vladimir Poutine, un prédateur qui perçoit toute offre de compromis comme une marque de faiblesse. Son pays le paye aujourd’hui au prix fort. Force est de reconnaître que le président ukrainien n’a pas toujours eu toutes les facettes du héros patriotique désintéressé. Lui aussi a eu droit à la critique du penchant autoritaire, aux accusations de compromission avec les pro-Russes du Donbass (ou au contraire de les réprimer brutalement), ou de montages financiers douteux révélés par les Pandora Papers. Et comme tant d’autres dirigeants, la gestion de la crise du Covid ne lui valut pas un satisfecit unanime, tant s’en faut. On se souviendra aussi qu’en septembre 2019, la révélation d’une conversation entre Volodymyr Zelensky et Donald Trump fut le prélude à une procédure de destitution du président américain.
Mais tout cela n’a plus d’importance aujourd’hui. Volodymyr Zelensky a su embrasser l’histoire, la grande histoire. On aurait pu l’imaginer prenant la fuite ou capitulant devant l’armée russe et son chef paranoïaque. Il n’en fut rien. Dans son bureau ou dans les rues de Kiev, il est le chef de la résistance à l’envahisseur, organise ses troupes, fait distribuer des armes à la population et fait comprendre aux Russes, dirigeants, soldats, population, que l’Ukraine sera pour la Russie un nouvel Afghanistan, un nouveau tombeau et une nouvelle humiliation, au point que certains subodorent que Vladimir Poutine pourrait faire exposer une bombe atomique tactique, quelque part en Ukraine, pour faire capituler Zelensky comme le Japon capitula après Hiroshima et Nagasaki. Mais avant, les Russes s’efforceront de prendre Kiev avec leurs chars et leurs avions, de déposer Zelensky et son gouvernement, d’obtenir la reddition de l’armée ukrainienne et d’installer au pouvoir un homme de paille. L’Afghanistan, ce sera pour après.
Qu’il sorte ou non indemne de la guerre, Volodymyr Zelensky sera un héros planétaire, nouveau symbole du combat pour la liberté, de la résistance à l’oppresseur. Il l’est déjà. Il est l’anti-Poutine, qui, lui, a sombré dans l’abîme de la détestation universelle. L’un et l’autre entraînent leur peuple dans une tempête émotionnelle : les Russes deviennent des parias. Les Ukrainiens, des frères que toute l’Europe veut aider et accueillir (pour le moment !).
Volodymyr Zelensky : nouveau Churchill ? Oui, car nous avons tous besoin d’incarnation. Il est le visage de l’Ukraine libre et européenne, comme ailleurs le fut un autre héros : Charles de Gaulle, chef de la France libre. Il fallut près de cinq ans et une guerre mondiale à la France pour recouvrer sa liberté. Aujourd’hui, en Europe, le rideau de fer que l’on croyait définitivement replié à la fin de la Guerre froide se déploie à nouveau. Volodymyr Zelensky se bat pour que l’Ukraine soit du bon côté.
Michel Taube