Dans une Europe aux prises à un monstre froid qui détruit l’Ukraine dont il bombarde la population, risque de faire exploser une centrale nucléaire, et menace l’Europe de vitrification, force est de reconnaître que la lettre d’Emmanuel Macron aux Français annonçant sa candidature à la présidentielle et les grandes lignes de son prochain programme n’a pas déchainé les passions.
Indépendamment de la crise mondiale (pour la guerre, on verra), il ne fait mystère pour personne que le sortant rempilera pour un second tour de piste. Les défections chez LR risquent d’abonder dans les jours qui viennent.
S’y ajoute une double constante : le bilan n’a jamais fait l’élection (encore que si c’était vraiment le cas, François Hollande n’aurait peut-être par renoncé à se représenter en 2017), et les promesses ne sont jamais tenues.
Pour le reste, Emmanuel Macron est l’homme le plus chanceux de l’histoire politique française ! Il a la baraka ! Après l’extraordinaire concours de circonstances qui lui a permis d’entrer à l’Élysée en 2017, au train où vont les choses, il va finir élu au premier tour le 10 avril prochain : Covid, guerre d’Ukraine aux relents nucléaires, droite nationaliste aux relents poutiniens, déconfiture de la gauche qui s’accroche paradoxalement à un autocrate marxiste, et pour finir, affaissement (avant effondrement ?) de la droite républicaine, qui va avoir envie d’aller voter le 10 avril ?
Si une surprise est encore possible, le scénario semble écrit : ce sera Macron contre Le Pen, et donc, ce sera Macron.
Que nous écrit Emmanuel Macron ? Tout d’abord reconnaissons lui qu’en cinq ans, il a appris la concision. Sa première Lettre aux Français, en janvier 2019, annonçant le Grand Débat national au lendemain de la crise des gilets jaunes, étaient deux fois plus longues.
« Je suis candidat pour inventer avec vous, face aux défis du siècle, une réponse française et européenne singulière. Je suis candidat pour défendre nos valeurs que les dérèglements du monde menacent. Je suis candidat pour continuer de préparer l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants ».
C’est simple, c’est sobre, ça dit l’essentiel : dans un monde en pleine tourmente, l’union fait la force. Et cette union est européenne. Le détail de ses propositions, ce sera pour plus tard, mais Emmanuel Macron a tracé les grandes lignes : lutte contre les inégalités (pour les électeurs de gauche), relance de la méritocratie républicaine et « reconquête productive par le travail » (pour ceux de LR), priorité à l’éducation (il se susurre le projet de donner une grande autonomie aux chefs d’établissement), à la santé…
En peu de mots, il ratisse large, annonçant des investissements dans la Justice, les forces de l’ordre, le grand âge. C’est entrée, plat et dessert pour tous.
Pas tout à fait tout de même, car il manque de nombreux ingrédients, pourtant essentiels : très peu sur le climat et l’environnement, pas un sur la laïcité, passée par pertes et profits depuis longtemps. Certes, ils sont peut-être inclus dans « les dérèglements du monde », mais l’oubli est révélateur et inquiétant. Le haut niveau de la droite nationaliste est le résultat d’une immigration non maîtrisée et souvent non voulue, d’un islamisme conquérant, d’une délinquance croissante, d’une identité qui s’étiole. Quant au défi climatique, l’actualité tragique nous fait oublier l’extrême déficit pluviométrique depuis le début de cet hiver si doux. Ce sont d’autres désastres qui s’annoncent.
Sans le Covid et Vladimir Poutine, Emmanuel Macron aurait eu besoin de bien plus qu’une lettre aux Français pour leur redemander leur confiance. Il aurait même pu se retrouver dans la même situation que son prédécesseur, cinq ans plus tôt. Son second quinquennat sera une autre facette de son « en même temps » : Emmanuel Macron embrassera la grande histoire, qui est presque toujours tragique. Comme De Gaulle, Churchill ou Zelensky, il aura peut-être l’occasion d’être là au moment où elle s’écrit, et participera à son écriture. Mais en même temps, la légitimité d’une réélection sans débats et sans véritable campagne risque fort d’être contestée dans la rue quand les Français, dont une majorité se sera abstenue, se réveilleront le 24 avril.
Il n’est pas sûr d’ailleurs que Macron, largement réélu le 24 avril, dispose d’une majorité absolue le 19 juin, au soir du second tour des élections législatives. Le délai entre la présidentielle et les élections parlementaires sera si long cette année que de nouvelles surprises sont possibles dans l’intervalle.
Macron sous cohabitation ? Ce serait du « en même temps » grand cru !
Michel Taube