« J’ai voulu écrire ce livre pour me sauver la vie », commence Audrey Gloaguen. Une vie trop réglée à son goût, au rythme de documentaires formatés et d’une pression institutionnelle qui ne lui convenait plus. Son job de rédactrice en chef adjointe dans plusieurs sociétés de production audiovisuelle ne lui laissait pas la liberté débridée dont elle avait besoin. Son bol d’air ? Son ordinateur et la tête pleine d’idées. Sombres, parfois glauques, souvent juste sur la sensibilité humaine, avec une pointe de folie narratrice. « Le réel est très contraignant, juge-t-elle, l’imaginaire est une expérience créative incroyable ». Commencé en 2012, ce roman a connu sept versions avant d’arriver le 10 mars 2022 dans nos librairies. Un petit bijou qui a été peaufiné au fil d’une décennie et de quelques doutes. S’étant formée au scénario pour légitimer son ambition, Audrey Gloaguen s’est d’abord lancée dans le cadre d’un concours d’écriture. Ainsi a débuté l’aventure « Semia ». Un pur polar avec une vraie ambiance comme dans les livres de Stieg Larsson et une intrigue haletante digne de Fred Vargas. Comme elle, la jeune autrice de Semia ne cache pas sa fascination pour la noirceur de l’âme humaine qu’elle décortique à travers un flic sadique, une anti-héroïne souffrant d’achromatopsie, un psy frappée, un pervers narcissique, une assistante sulfureuse, un dur au cœur tendre parmi toute une galerie de personnages qui, touts à leur manière, tentent de donner du sens à leur vie. Au départ, un triple suicide dans un centre commercial. Une journaliste sur la touche s’approprie le sujet pour essayer de sauver son job et enquête sur les circonstances du drame. Mais une application intrusive, de mystérieuses croix ansées, une forêt des suicidés sur les pentes du mont Fuji et de curieux messages qui disparaissent nous plongent rapidement dans une aventure sensuelle et déroutante qui nous tient éveillés jusque tard dans la nuit.
Semia prend aux tripes, mais nous interroge aussi sur nos motivations à agir, notre confiance en nous-mêmes, dans les autres et dans nos réseaux sociaux. Car au cœur de l’intrigue se niche SEMIA (Semantic Analysis), un logiciel révolutionnaire. « Le téléphone portable est un fil à la patte inquiétant, exprime Audrey Gloaguen. On accepte souvent les Conditions Générales de Vente sans les lire, de même, on trouve amusants les tests génétiques, mais en réalité Google se sert de l’ADN pour ficher l’humanité, plus rapidement que l’on ne le croit. Le clic à la récompense est une drogue et nous devons éviter à nos enfants cette dépendance ». Pédagogique Semia ? Peut-être bien… Au-delà d’une intrigue qui s’étale sur deux semaines à peine et nous tient tout du long en haleine, ce premier roman est particulièrement bien écrit, avec un style sec et précis. Parfois saccadés, parfois très imagés les mots créent une ambiance très juste et renforcent les émotions du lecteur. L’écrivaine joue avec les phrases comme le prédateur avec ses victimes, nous embarquant dans son univers glaçant.
Ce premier thriller très visuel a d’ailleurs été sélectionné pour le prix Polar 2022 et gageons de toute façon qu’il ne sera pas le dernier ouvrage de fiction de la talentueuse Audrey Gloaguen.
Semia d’Audrey Gloaguen, éditions Gallimard
En librairie le 10 mars 2022
A acheter dans toutes les bonnes librairies, notamment Ici Grands Boulevards
Deborah Rudetzki